vendredi 8 mars 2013

Les voyages, ce sont les rencontres


Au programme aujourd’hui, Caroline ou l’art d’énoncer des évidences sur un ton émerveillé.

Adoptons une démarche un tant soit peu scientifique, partons du postulat de base : 

les voyages, ce sont les rencontres.

Entendons-nous sur les termes : j’entends « voyage » en son sens le plus large. Tout ce qui nous éloigne de nos racines, du connu, du sécurisant, de la lessive-qui-sent-comme-chez-moi, des chasse-neige sur les pistes au moment de fermer les volets l’hiver et des viennoiseries le dimanche matin. Du rassurant, quoi. En ce qui me concerne, ‘voyage’ est mon terme générique pour qualifier tout ce qui n’est pas Gre.

Le Canada fut mon premier voyage ; celui qui me donna envie d’en faire mille autres. Toulouse fut mon plus beau voyage. L’année de mobilité, pour laquelle ce blog a vu le jour, fut ma fuite en avant la plus réussie. Berlin fut un voyage très… instructif (benh si, je n’avais jamais gouté die authentische Würst mit Bretzel und Bier, cela valait le coup (rassurez-vous, j’ai retenu autre chose de mon séjour berlinois que le goût de leur saucisse-bretzel-bière)). Poitiers est une nouvelle aventure, et elle s’annonce magnifique. Même l’été passé au fin fond de la montagne tessinoise en tant que fille au pair fut un voyage à part entière. 

Et à chacun de ces lieux sont associées des rencontres. Inutile de s’entendre sur le terme de « rencontres » ; il s’agit des nôtres. Le Canada, c’est ma famille canadienne ; Toulouse, c’est les IEPiens ; l’Angleterre, c’est les Erasmus ; le Burundi, c’est les colocs et Astère. Bref, ces six dernières années, c’est vous. Rien d’autre que ces rencontres avec lesquelles on partage des petits bouts de vie, entrecoupés de retours à Grenoble salvateurs mais nécessairement éphémères.       

Pour persister dans la démarche scientifique, j’ai même quelques contre-exemples pour étayer mon postulat : il me paraîtrait incongru de ranger mon été parisien dans la catégorie « voyage », puisque je l’ai passé entre Grenoblois et IEPiens. De même, le séjour en Tanzanie, aussi magique fut-il, n’est pas un voyage. On ne va pas ergoter, c’est techniquement un voyage (j’ai-payé-mon-visa-j’ai-pesé-ma-valise-j’ai-pris-l’avion-et-je-suis-revenue-avec-mille-photos-et-autant-de-souvenirs), mais ce n’était pas un voyage au sens social du terme, bien qu’affirmer cela ne rend pas justice à quelques soirées hors du temps passées entre Arusha et Stone Town. 
Et Berlin, me demanderez-vous ? Eh bien si j’ai tellement galéré à Berlin, c’est car j’ai mis du temps à faire ces rencontres qui transforment un séjour en un voyage.

Certains -dont je fus- trouve cette conception de l’amitié bien opportuniste : quoi, es-tu tellement terre-à-terre que tu as besoin de gens avec qui tuer le temps ? Oui, mille fois oui : à quoi bon vivre des expériences extraordinaires si ce n’est pour les partager ? Es-tu tellement terre-à-terre pour oublier que tu as des vrais amis (loin, en l’occurrence) ? Non, mille fois non. Mais les voyages ont cette particularité d’engendrer des relations bien particulières

Avec les vrais amis -les « loin »-, on s’est souvent interrogés sur la portée de ces amitiés. Pourquoi Adeline, Jakob, Astère et les autres ont une place particulière dans mon cœur alors qu’ils ne connaissent de moi que celle que j’ai été au Burundi ? Pourquoi les flatmates ont connaissance de détails si précis de ma vie alors même que je pouvais compter le nombre de semaines passées à Stoke sur les doigts (bon, en comptant ceux des pieds…) ? Plus prosaïquement encore, pourquoi ne puis-je écouter « I gotta a feeling » des Black Eyed Peas (pardonnez cette référence très… dancefloor) sans penser aux soirées déchaînées au LRV alors que ce titre passe en boucle à chaque soirée depuis 4 ans ? Ou manger une moussaka sans me remémorer mon quatorzième anniversaire célébré dans un resto grec de la banlieue de Toronto ?

Voilà quatre ans déjà, les IEPiens étions en train de préparer cette année de mobilité, le cœur léger à parler budget « soirées », week-ends de visites les uns aux autres et problèmes de visa. Nous avions tous vaguement conscience d’être à l’aube d’une expérience hors du commun, sans en saisir tout-à-fait la portée. Nous avons tous fait des rencontres inoubliables, et avons tous dû positionner ces rencontres par rapport aux relations que nous avions connues jusque là. Je parle ici d’amitié.

Pourquoi vivre une relation aussi intense avec des individus parfaitement inconnus quelques semaines auparavant, et dont la probabilité de se retrouver, après les douloureux mais tellement banals adieux et autres promesses de mailing assidu, reste bien faible ? Je crois que c’est justement le caractère trop éphémère de la rencontre qui en fait sa beauté (on nage en pleine poésie, là). On n’a rien à perdre à se montrer tel qu’on est. A quoi bon enfiler des perles de pluie et faire semblant quand le compte à rebours a déjà démarré ? Cette authenticité, décuplée par le fait qu’on était au départ « seul » pour vivre une expérience hors du commun et qu’on a désormais la chance de pouvoir la partager, rend magique chacune des rencontres.

Je me souviens avoir littéralement souffert à chacun des « au revoir » de cette année de mobilité. Je les déteste toujours tellement que j’ai songé à renoncer à m’orienter vers un secteur où vivre à l’étranger est une nécessité pour m’installer dans une vie « tranquille » qui à la fois m’attire et m’effraie d’ennui et de routine. Savoir où je vivrai dans six mois, pour quoi faire ?! 

A Buja notamment, où j’étais de loin la plus jeune, mon sentimentalisme faisait sourire les copains déjà rodés aux soirées de départ et aux « on-essaie-de-se-croiser-la-prochaine-fois-qu’on-est-à-moins-de-mille-bornes-l’un-de-l’autre », qui se souvenaient confusément avoir eux aussi versé une larme aux premiers adieux. Ensuite, d’avis général, on s’habitue à avoir des connaissances partout et des amis nulle part, à accumuler les rencontres, les superposer, les confondre presque. On s'habitue à ramer pour faire des rencontres, à ramer pour tisser des liens, les chérir puis les oublier. Alors, quoi ! cela voudrait dire qu’on s’épuise à rencontrer l’autre, le connaître, l’apprécier pour ensuite s’épuiser à l’oublier ? Jamais ! Entreprendre un voyage seule pour repartir sans être triste de quitter ceux que j’aurai rencontrés me laisserait un sentiment d’inutile, d’échec, de il-est-temps-de-se-poser.

Chacune des amitiés, régulièrement entretenues ou pas (quand c’est plutôt « pas », il y a d’ailleurs toujours une once de culpabilité), a une place particulière dans mon cœur. J’ai beau avoir « fêté » mon sixième pays au printemps dernier, avoir usé plusieurs valises avant même d’avoir atteint le quart de siècle, bref avoir prouvé que je pouvais m’adapter dans un panel assez large de situations, je ne suis rien sans vous. 
Nuançons, car je vais un peu loin ; celle que je suis devenue est celle que vous avez fait de la Grenobloise que j’étais, et suis encore. L’objectif n’est pas ici de disserter sur la relation très particulière que j'entretiens avec mes retours sur Gre ; cependant ne pas mettre une ligne sur « ma » région serait indécent. Constatons simplement que l’écart entre celle qui a quitté Gre en catastrophe dans la nuit du 19 au 20 septembre 2007 pour s’improviser Toulousaine et celle que je suis aujourd'hui est le fruit de mes rencontres. 

Revenue de Berlin lassée de ces véritables ascenseurs émotionnels qui font qu’on est très contents puis très tristes, j’étais partie à Poitiers pour six mois, sans autre ambition que celle de rencontrer des gens avec qui passer du temps -car oui, je persiste et je signe, j'ai besoin d'une vie sociale ! Convaincue d’avoir « assez d’amis », aussi loin fussent-ils (encore m’estimai-je heureuse d’être dans le même pays qu’eux pour au moins six mois), je m’étais promis de ne m’impliquer d’aucune façon que ce soit. Naïve ! Me voilà déjà angoissée à l’idée de quitter cette ville et les rencontres qui vont avec, déjà fatiguée de ne savoir où je serai dans six mois, déjà épuisée à l’idée de la solitude des premières semaines qui suivront ma prochaine installation -en résumé déjà lasse de tout recommencer. Mais, entre nous, ce constat est tellement rassurant : opportuniste oui, insensible non ! Je me résous à affirmer d'un ton émerveillé que les voyages, ce sont les rencontres.


Étant donné sa longueur, ce post mériterait une conclusion en bonne et due forme. Je n’ai jamais été douée pour l’exercice. Comme je viens en outre d’abandonner toute démarche scientifique pour vous donner la preuve que je n’apprends rien des leçons du passé, et au contraire m’accommode plutôt pas mal de mes erreurs -si tant est que s’attacher aux autres est une erreur en soi- je nous épargnerai toute conclusion définitive pour profiter d’un des ces retours salutaires à Gre, puisque c’est en direct de ma chambre d’enfant que je vous écris aujourd’hui.


Caro

PS : et puisque je sais que Sarah est une des lectrices les plus assidues, je lui souhaite un Joyeux Anniversaire ! A toute au téléphone !