Au
programme aujourd’hui, Caroline ou l’art d’énoncer des évidences sur un ton
émerveillé.
Adoptons une démarche un tant soit peu
scientifique, partons du postulat de base :
les voyages, ce sont
les rencontres.
Entendons-nous
sur les termes : j’entends « voyage » en son sens le plus large.
Tout ce qui nous éloigne de nos racines, du connu, du sécurisant, de la
lessive-qui-sent-comme-chez-moi, des chasse-neige sur les pistes au moment de
fermer les volets l’hiver et des viennoiseries le dimanche matin. Du rassurant,
quoi. En ce qui me concerne, ‘voyage’ est mon terme générique pour qualifier tout
ce qui n’est pas Gre.
Le
Canada fut mon premier voyage ; celui qui me donna envie d’en faire mille autres.
Toulouse fut mon plus beau voyage. L’année de mobilité, pour laquelle ce blog a
vu le jour, fut ma fuite en avant la plus réussie. Berlin fut un voyage très…
instructif (benh si, je n’avais jamais gouté die authentische
Würst mit Bretzel und Bier, cela valait le coup (rassurez-vous, j’ai
retenu autre chose de mon séjour berlinois que le goût de leur
saucisse-bretzel-bière)). Poitiers est une nouvelle aventure, et elle s’annonce
magnifique. Même l’été passé au fin fond de la montagne tessinoise en tant que
fille au pair fut un voyage à part entière.
Et
à chacun de ces lieux sont associées des rencontres. Inutile de s’entendre sur
le terme de « rencontres » ; il s’agit des nôtres. Le Canada,
c’est ma famille canadienne ; Toulouse, c’est les IEPiens ; l’Angleterre,
c’est les Erasmus ; le Burundi, c’est les colocs et Astère. Bref, ces six
dernières années, c’est vous. Rien d’autre que ces rencontres avec lesquelles
on partage des petits bouts de vie, entrecoupés de retours à Grenoble
salvateurs mais nécessairement éphémères.
Pour
persister dans la démarche scientifique, j’ai même quelques contre-exemples pour
étayer mon postulat : il me paraîtrait incongru de ranger mon été parisien
dans la catégorie « voyage », puisque je l’ai passé entre Grenoblois
et IEPiens. De même, le séjour en Tanzanie, aussi magique fut-il, n’est pas un
voyage. On ne va pas ergoter, c’est techniquement un voyage
(j’ai-payé-mon-visa-j’ai-pesé-ma-valise-j’ai-pris-l’avion-et-je-suis-revenue-avec-mille-photos-et-autant-de-souvenirs),
mais ce n’était pas un voyage au sens social du terme, bien qu’affirmer cela ne
rend pas justice à quelques soirées hors du temps passées entre Arusha et Stone
Town.
Et Berlin, me demanderez-vous ? Eh bien si j’ai tellement galéré à Berlin, c’est car j’ai mis du temps à faire ces rencontres qui transforment un séjour en un voyage.
Et Berlin, me demanderez-vous ? Eh bien si j’ai tellement galéré à Berlin, c’est car j’ai mis du temps à faire ces rencontres qui transforment un séjour en un voyage.
Certains
-dont je fus- trouve cette conception de l’amitié bien opportuniste :
quoi, es-tu tellement terre-à-terre que
tu as besoin de gens avec qui tuer le temps ? Oui, mille fois
oui : à quoi bon vivre des expériences extraordinaires si ce n’est pour
les partager ? Es-tu tellement terre-à-terre
pour oublier que tu as des vrais amis (loin, en l’occurrence) ?
Non, mille fois non. Mais les voyages ont cette particularité d’engendrer des
relations bien particulières.
Avec
les vrais amis -les « loin »-,
on s’est souvent interrogés sur la portée de ces amitiés. Pourquoi Adeline,
Jakob, Astère et les autres ont une place particulière dans mon cœur alors
qu’ils ne connaissent de moi que celle que j’ai été au Burundi ? Pourquoi
les flatmates ont connaissance de
détails si précis de ma vie alors même que je pouvais compter le nombre de
semaines passées à Stoke sur les doigts (bon, en comptant ceux des pieds…) ?
Plus prosaïquement encore, pourquoi ne puis-je écouter « I gotta a
feeling » des Black Eyed Peas (pardonnez cette référence très… dancefloor) sans penser aux soirées déchaînées
au LRV alors que ce titre passe en boucle à chaque soirée depuis 4 ans ? Ou manger une moussaka sans me remémorer mon quatorzième anniversaire célébré dans un resto grec de la banlieue de Toronto ?
Voilà
quatre ans déjà, les IEPiens étions en train de préparer cette année de
mobilité, le cœur léger à parler budget « soirées », week-ends de
visites les uns aux autres et problèmes de visa. Nous avions tous vaguement
conscience d’être à l’aube d’une expérience hors du commun, sans en saisir
tout-à-fait la portée. Nous avons tous fait des rencontres inoubliables, et
avons tous dû positionner ces rencontres par rapport aux relations que nous
avions connues jusque là. Je parle ici d’amitié.
Pourquoi
vivre une relation aussi intense avec des individus parfaitement inconnus
quelques semaines auparavant, et dont la probabilité de se retrouver, après les
douloureux mais tellement banals adieux et autres promesses de mailing assidu,
reste bien faible ? Je crois que c’est justement le caractère trop
éphémère de la rencontre qui en fait sa beauté (on nage en pleine poésie, là).
On n’a rien à perdre à se montrer tel qu’on est. A quoi bon enfiler des perles
de pluie et faire semblant quand le compte à rebours a déjà démarré ? Cette
authenticité, décuplée par le fait qu’on était au départ « seul »
pour vivre une expérience hors du commun et qu’on a désormais la chance de
pouvoir la partager, rend magique chacune des rencontres.
Je
me souviens avoir littéralement souffert à chacun des « au revoir »
de cette année de mobilité. Je les déteste toujours tellement que j’ai songé à
renoncer à m’orienter vers un secteur où vivre à l’étranger est une
nécessité pour m’installer dans une vie « tranquille » qui à la
fois m’attire et m’effraie d’ennui et de routine. Savoir où je vivrai dans six
mois, pour quoi faire ?!
A
Buja notamment, où j’étais de loin la plus jeune, mon sentimentalisme faisait
sourire les copains déjà rodés aux soirées de départ et aux
« on-essaie-de-se-croiser-la-prochaine-fois-qu’on-est-à-moins-de-mille-bornes-l’un-de-l’autre »,
qui se souvenaient confusément avoir eux aussi versé une larme aux premiers
adieux. Ensuite, d’avis général, on s’habitue à avoir des connaissances partout et
des amis nulle part, à accumuler les rencontres, les superposer, les confondre presque. On s'habitue à ramer pour faire des rencontres, à ramer pour tisser des liens,
les chérir puis les oublier. Alors, quoi ! cela voudrait dire qu’on
s’épuise à rencontrer l’autre, le connaître, l’apprécier pour ensuite s’épuiser
à l’oublier ? Jamais ! Entreprendre un voyage seule pour repartir
sans être triste de quitter ceux que j’aurai rencontrés me laisserait un
sentiment d’inutile, d’échec, de il-est-temps-de-se-poser.
Chacune
des amitiés, régulièrement entretenues ou pas (quand c’est plutôt « pas »,
il y a d’ailleurs toujours une once de culpabilité), a une place particulière
dans mon cœur. J’ai beau avoir « fêté » mon sixième pays au printemps
dernier, avoir usé plusieurs valises avant même d’avoir atteint le quart de
siècle, bref avoir prouvé que je pouvais m’adapter dans un panel assez large de
situations, je ne suis rien sans vous.
Nuançons,
car je vais un peu loin ; celle que je suis devenue est celle que vous
avez fait de la Grenobloise que j’étais, et suis encore. L’objectif n’est pas ici de disserter sur la
relation très particulière que j'entretiens avec mes retours sur Gre ;
cependant ne pas mettre une ligne sur « ma » région serait indécent.
Constatons simplement que l’écart entre celle qui a quitté Gre en catastrophe
dans la nuit du 19 au 20 septembre 2007 pour s’improviser Toulousaine et celle
que je suis aujourd'hui est le fruit de mes rencontres.
Revenue de Berlin lassée de ces véritables ascenseurs émotionnels qui font qu’on est très contents
puis très tristes, j’étais partie à Poitiers pour six mois, sans autre ambition
que celle de rencontrer des gens avec qui passer du temps -car oui, je persiste et je signe, j'ai besoin d'une vie sociale ! Convaincue d’avoir « assez d’amis », aussi loin fussent-ils (encore m’estimai-je heureuse d’être dans
le même pays qu’eux pour au moins six mois), je m’étais promis de ne m’impliquer
d’aucune façon que ce soit. Naïve ! Me voilà déjà angoissée à l’idée de
quitter cette ville et les rencontres qui vont avec, déjà fatiguée de ne savoir
où je serai dans six mois, déjà épuisée à l’idée de la solitude des premières
semaines qui suivront ma prochaine installation -en résumé déjà lasse de tout
recommencer. Mais, entre nous, ce constat est tellement rassurant : opportuniste oui, insensible non ! Je me résous à affirmer d'un ton émerveillé que les voyages, ce sont
les rencontres.
Étant donné sa longueur, ce post mériterait une conclusion en bonne et due forme. Je
n’ai jamais été douée pour l’exercice. Comme je viens en outre d’abandonner
toute démarche scientifique pour vous donner la preuve que je n’apprends rien
des leçons du passé, et au contraire m’accommode plutôt pas mal de mes erreurs -si tant est que s’attacher aux autres est une erreur en soi- je nous épargnerai
toute conclusion définitive pour profiter d’un des ces retours salutaires à Gre,
puisque c’est en direct de ma chambre d’enfant que je vous écris aujourd’hui.
Caro
PS : et puisque je sais que Sarah est une des lectrices les plus assidues, je lui souhaite un Joyeux Anniversaire ! A toute au téléphone !