Sur le lac Togo |
Le titre de cet article n’est pas une
question rhétorique. L’interrogation est réelle, et je ne promets pas d’y avoir
apporté une réponse d’ici la fin.
Si on s’en tient à l’étymologie, « nostalgie
heureuse » est un bel oxymore. Nostalgie vient du grec nostos, qui signifie « retour »,
et algos, la douleur. La souffrance
du passé, en somme. Clairement, on n’est
pas dans le bonheur.
Si on prend ‘nostalgie’ au sens large
qui renvoie aux souvenirs ou au ‘regret attendri’, la réponse est, je crois,
moins évidente.
La question que je me pose, finalement,
est la suivante : peut-on se réfugier dans des souvenirs heureux ?
Est-ce qu’une époque heureuse peut être source de bonheur alors même qu’elle
est révolue ? Est-ce que la douleur engendrée par le fait qu’elle est révolue
n’est pas supérieure à la sérénité qu’elle est censée procurer ?
La nostalgie, c’est d’abord la perte d’une
période heureuse, d’un être aimé, d’un lieu chéri. Une fois cette époque, cette
personne, cet endroit perdus, il faut apprendre à vivre sans. Et ça, c’est dur.
Des psychologues ont réfléchi avant moi et mieux que moi aux étapes du deuil :
le déni, la colère, la négociation, la tristesse, puis l’acceptation.
Je passe sur les quatre premières
phases, on est d’accord qu’elles sont toutes douloureuses. Cependant, une fois
qu’on a accepté la perte, alors le souvenir peut-il devenir heureux ?
Ma réponse, et elle est personnelle,
est non. J’ai connu beaucoup de départs, beaucoup d’au revoirs sinon adieux, et
à chaque fois ou presque, ils étaient douloureux. Alors pour me protéger, je m’interdisais
d’y penser. Quand je reviens d’un voyage, d’un séjour, et que j’ai laissé
derrière moi des personnes aimées, des endroits devenus familiers et des
moments partagés, ma réaction d’autodéfense est toujours la même : je me
bloque le cerveau, je blinde mon emploi du temps, je me divertis, voire m’abrutis.
Quand le souvenir est moins douloureux, je m’autorise quelques incursions
timides dans ma mémoire, mais fais rapidement marche arrière. Et ce n’est que
quand il n’est plus douloureux (que je suis dans l’acceptation, en fait) que je
peux y penser sereinement. Et alors, je réalise que j’y pense avec
indifférence. Et alors ce n’est plus une valeur refuge. C’est que je suis suffisamment
heureuse pour pouvoir vivre le présent sans regretter le passé ; et alors penser
au passé ne m’aide pas ni ne me rend particulièrement heureuse. J’y pense sans
douleur, et c’est déjà ça, me dis-je. Le regret attendri n’existe pas chez moi.
Soit je regrette et je souffre, soit je ne regrette pas –ou plus.
A Poitiers |
C’est ma résolution : non pas pour l’année
à venir, ce serait un peu trop ambitieux, mais au moins pour la prochaine
décennie. Avoir la maturité de ne pas occulter les souvenirs trop douloureux
jusqu’à ce qu’ils disparaissent ou que j’y sois insensible. Réussir à cultiver
mes souvenirs heureux pour qu’ils me rendent heureuse quand j’y pense. Parvenir
à canaliser ma nostalgie pour que mon passé soit un repère dans mon présent et mon
avenir. Ne pas sombrer dans la mélancolie ou l’amertume mais aller de l’avant,
coûte que coûte et avec sérénité.