jeudi 24 décembre 2015

La nostalgie heureuse existe-t-elle ?

  
Sur le lac Togo

Le titre de cet article n’est pas une question rhétorique. L’interrogation est réelle, et je ne promets pas d’y avoir apporté une réponse d’ici la fin.

Si on s’en tient à l’étymologie, « nostalgie heureuse » est un bel oxymore. Nostalgie vient du grec nostos, qui signifie « retour », et algos, la douleur. La souffrance du passé, en somme.  Clairement, on n’est pas dans le bonheur.

Si on prend ‘nostalgie’ au sens large qui renvoie aux souvenirs ou au regret attendri, la réponse est, je crois, moins évidente.
La question que je me pose, finalement, est la suivante : peut-on se réfugier dans des souvenirs heureux ? Est-ce qu’une époque heureuse peut être source de bonheur alors même qu’elle est révolue ? Est-ce que la douleur engendrée par le fait qu’elle est révolue n’est pas supérieure à la sérénité qu’elle est censée procurer ?

La nostalgie, c’est d’abord la perte d’une période heureuse, d’un être aimé, d’un lieu chéri. Une fois cette époque, cette personne, cet endroit perdus, il faut apprendre à vivre sans. Et ça, c’est dur. Des psychologues ont réfléchi avant moi et mieux que moi aux étapes du deuil : le déni, la colère, la négociation, la tristesse, puis l’acceptation.
Je passe sur les quatre premières phases, on est d’accord qu’elles sont toutes douloureuses. Cependant, une fois qu’on a accepté la perte, alors le souvenir peut-il devenir heureux ?

Ma réponse, et elle est personnelle, est non. J’ai connu beaucoup de départs, beaucoup d’au revoirs sinon adieux, et à chaque fois ou presque, ils étaient douloureux. Alors pour me protéger, je m’interdisais d’y penser. Quand je reviens d’un voyage, d’un séjour, et que j’ai laissé derrière moi des personnes aimées, des endroits devenus familiers et des moments partagés, ma réaction d’autodéfense est toujours la même : je me bloque le cerveau, je blinde mon emploi du temps, je me divertis, voire m’abrutis. Quand le souvenir est moins douloureux, je m’autorise quelques incursions timides dans ma mémoire, mais fais rapidement marche arrière. Et ce n’est que quand il n’est plus douloureux (que je suis dans l’acceptation, en fait) que je peux y penser sereinement. Et alors, je réalise que j’y pense avec indifférence. Et alors ce n’est plus une valeur refuge. C’est que je suis suffisamment heureuse pour pouvoir vivre le présent sans regretter le passé ; et alors penser au passé ne m’aide pas ni ne me rend particulièrement heureuse. J’y pense sans douleur, et c’est déjà ça, me dis-je. Le regret attendri n’existe pas chez moi. Soit je regrette et je souffre, soit je ne regrette pas –ou plus.

A Poitiers
C’est ma résolution : non pas pour l’année à venir, ce serait un peu trop ambitieux, mais au moins pour la prochaine décennie. Avoir la maturité de ne pas occulter les souvenirs trop douloureux jusqu’à ce qu’ils disparaissent ou que j’y sois insensible. Réussir à cultiver mes souvenirs heureux pour qu’ils me rendent heureuse quand j’y pense. Parvenir à canaliser ma nostalgie pour que mon passé soit un repère dans mon présent et mon avenir. Ne pas sombrer dans la mélancolie ou l’amertume mais aller de l’avant, coûte que coûte et avec sérénité.

dimanche 29 novembre 2015

Debout

Animée de belles résolutions, j’ai rouvert ce blog au mois d’août, avec un millier d’articles en tête. J’en ai commencés plusieurs. Puis j’ai procrastiné, et me voilà rattrapée par l’actualité.

Le 13 novembre dernier, 130 vies ont été fauchées à Paris, au nom d’un « Dieu trahi », pour citer le Président François Hollande.

J’ai voulu réagir et avais très envie de poster un article sur ce blog dans les jours qui ont suivi. Là encore, j’ai procrastiné.

L’avantage de procrastiner, c’est que cela permet la prise de recul. Cela permet de relativiser. De se sentir moins concerné. Peut-être même de penser qu’on aurait pu dramatiser, céder au pathétique, réagir à chaud.

Quinze jours après ce drame, je trouverais indécent d’écrire sur un autre sujet que celui-ci. Néanmoins, je crains plusieurs écueils : d’abord, celui de n’avoir pas assez pris de recul. Plus encore, je ne veux pas m’arroger le chagrin des autres. Enfin, je ne m’estime pas en mesure de produire la moindre analyse sociologique ou politique des évènements. Pourtant, en toute humilité, mais au moins autant spectatrice qu’actrice de ma génération, j’ai envie de témoigner.

Il y a le deuil personnel, que traversent les proches des victimes. C’est de ce deuil là que je refuse de m’emparer. Il y a également le deuil social, national, occidental, générationnel.  Il s’est traduit de deux façons.

La première est plutôt étonnante. Les emblèmes nationaux ont été remis au goût du jour. Alors que quiconque aurait exhibé un drapeau tricolore il y a quelques mois encore aurait facilement été taxé de nationaliste, des milliers de drapeaux ont fleuri aux fenêtres, les photos de profil Facebook se sont uniformisées avec un filtre tricolore, et partout dans le monde, témoignage émouvant d’empathie à l’égard de la France, les bâtiments officiels ont été illuminés en bleu, blanc et rouge. La Marseillaise, chant naguère décrit comme guerrier et nationaliste, n’a jamais été aussi souvent entamée, avec autant de ferveur. Même la devise de Paris, Fluctuat nec mergitur, pas franchement utilisée au quotidien voire carrément oubliée, est revenue comme un leitmotiv.

En parallèle, toujours, ce besoin de se rassembler, de se retrouver dans les mêmes symboles, de se reconnaitre dans les mêmes échos. C’est une constante : nous ne nous sentons jamais patriotes ni ne revendiquons notre identité, jusqu’à ce que notre pays soit frappé de plein fouet, ou au contraire connaisse un grand bonheur. Un journaliste expliquait qu’il n’avait pas vu autant de drapeaux depuis la victoire de la France à la Coupe du Monde de football en 1998. 
Je ne reviendrai pas sur ce besoin de se rassembler ou de se recueillir. J'imagine que chacun met un sens différent derrière la Marseillaise ou le drapeau. Pour ma part, ce regain patriote me dépasse complètement, et j’en suis… victime, en quelque sorte : je me suis moi aussi sentie très Française le 13 novembre.

La seconde réaction des Français aux attentats découle de la forme même des attentats : une fusillade dans des quartiers branchés de Paris. Les cibles étaient des jeunes, avec un profil sociologique assez similaire : étudiants ou jeunes actifs, représentants de la jeunesse éduquée, plutôt aisée, qui sortaient un vendredi soir pour bien commencer le week-end. Suite aux attentats, le mot d’ordre sur les réseaux sociaux a été de continuer à sortir, à profiter de Paris, à « occuper » les terrasses. Acte de résistance dérisoire : si les attentats planifiés à la Défense avaient abouti, qui aurait eu l’idée d’intimer à chacun d’aller « occuper le Parvis » en costar et en cravate en signe de résistance ? 

« Sortons, buvons, faisons la fête ».

Sortir, boire, faire la fête. Ce n’est pas résister. Ce n’est pas dresser son majeur bien droit face aux terroristes. Ce n’est pas faire la guerre à ceux qui nous l’ont déclarée.

C’est seulement vivre, en fait. C’est continuer à vivre. Et cela constitue déjà le premier combat de tout un pays, de toute une génération : malgré ce qui s’est passé, malgré ce qui peut se passer, celui de rester debout

lundi 24 août 2015

Les gens heureux n'ont pas d'histoire


 Les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Cette citation de Simone de Beauvoir, devenue un véritable sens commun aujourd'hui, explique-t-il deux ans d’absence ? Non, bien sûr que non. Sans aucun préavis, je n’ai plus donné signe de vie depuis le 24 septembre 2013, et je reviens en –presque- catimini un soir d’été orageux, deux ans plus tard. Même envie d'écrire. Même état d'excitation à l'idée de cliquer sur "publier". Même reconnaissance envers les éventuels lecteurs. Décor radicalement différent.

Pour la cohérence de ce blog –toujours ce souci du détail chronologique, on ne se refait pas-, je nous dois une rétrospective.

Le dernier article a été rédigé sur le toit d’une guesthouse où j’ai séjourné une dizaine de jours avant d’intégrer la coloc à laquelle j’y fais référence. Je venais d’arriver au Togo, où j’allais passer 4 mois. J’y suis restée 12 de plus.

Je n’ai pas passé 4 mois à Lomé ; j’ai vécu 16 mois à Lomé.

Entre la publication de ce dernier article et mon départ, j’ai connu 1 renouvellement de contrat, 4 déménagements, 7 colocataires de 7 nationalités et 3 continents différents, 4 franchissements de frontière dans les pays voisins, 3 retours en France, la vie à 2, et le sentiment d’être chez moi à Lomé.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Heureuse, je l’étais ; et Lomé étant devenu chez moi, ma vie était suffisamment banale pour que je n’aie rien à raconter qui me semble digne de ce blog. Ou plutôt, moins hypocritement, trop occupée à vivre, je n’ai pas pris le temps de l’entretenir. A quoi bon, me déculpabilisais-je, quand Skype, Facebook, les emails et Whatsapp existent ?

Puis s’est posée la question de l’après Lomé, car bien que je m’y sentisse chez moi, c’était toujours avec ce sentiment de provisoire, de « ce n’est pas la vraie vie », de « et après ? ». A cette période-là, il y a un peu moins d’un an, je n'avais plus du tout le blog en tête et l'alimenter était le cadet de mes soucis. J’aurais cependant sans doute tu mes doutes d’alors, par pudeur bien sûr, par crainte d’ennuyer les lecteurs aussi, par peur de devoir formuler les questions sous-jacentes à un éventuel départ.

Si je vous ai épargné mes incertitudes l’année dernière, je ne vais pas tomber dans l’écueil de m’épancher maintenant.

Tenons-nous en aux faits.

J’ai pris un retour simple Lomé-Grenoble le 23 décembre 2014 à 23h50. J’ai commencé mon nouveau travail, à Paris, le 30 décembre 2014. Des rues en terre défoncées de Lomé en pleine saison sèche au quartier de la Défense en plein hiver, la transition a été difficile. Ou plutôt, tout s'est enchaîné sans transition, ce qui a constitué l’avantage non négligeable d’éviter de me regarder trop le nombril…

La Défense. Notez qu'elle est rarement aussi sexy.

Et depuis… depuis, je suis Parisienne… hum, permettez-moi de me ménager: je ne suis pas Parisienne ; je vis à Paris.

Mais je crois que ce sera suffisant pour aujourd’hui. Laissons-nous le temps de nous réapproprier cette interface, gardons la vie parisienne pour un prochain article. Je ne me risquerai pas à faire le serment solennel  de revenir bientôt -qui serait dupe ?-, mais je suis quand même contente de nous retrouver. Et si jamais je ne donne pas de nouvelles sous peu, on n’aura qu’à se dire que c’est parce que les gens heureux n’ont pas d’histoire.

Caro