dimanche 29 novembre 2015

Debout

Animée de belles résolutions, j’ai rouvert ce blog au mois d’août, avec un millier d’articles en tête. J’en ai commencés plusieurs. Puis j’ai procrastiné, et me voilà rattrapée par l’actualité.

Le 13 novembre dernier, 130 vies ont été fauchées à Paris, au nom d’un « Dieu trahi », pour citer le Président François Hollande.

J’ai voulu réagir et avais très envie de poster un article sur ce blog dans les jours qui ont suivi. Là encore, j’ai procrastiné.

L’avantage de procrastiner, c’est que cela permet la prise de recul. Cela permet de relativiser. De se sentir moins concerné. Peut-être même de penser qu’on aurait pu dramatiser, céder au pathétique, réagir à chaud.

Quinze jours après ce drame, je trouverais indécent d’écrire sur un autre sujet que celui-ci. Néanmoins, je crains plusieurs écueils : d’abord, celui de n’avoir pas assez pris de recul. Plus encore, je ne veux pas m’arroger le chagrin des autres. Enfin, je ne m’estime pas en mesure de produire la moindre analyse sociologique ou politique des évènements. Pourtant, en toute humilité, mais au moins autant spectatrice qu’actrice de ma génération, j’ai envie de témoigner.

Il y a le deuil personnel, que traversent les proches des victimes. C’est de ce deuil là que je refuse de m’emparer. Il y a également le deuil social, national, occidental, générationnel.  Il s’est traduit de deux façons.

La première est plutôt étonnante. Les emblèmes nationaux ont été remis au goût du jour. Alors que quiconque aurait exhibé un drapeau tricolore il y a quelques mois encore aurait facilement été taxé de nationaliste, des milliers de drapeaux ont fleuri aux fenêtres, les photos de profil Facebook se sont uniformisées avec un filtre tricolore, et partout dans le monde, témoignage émouvant d’empathie à l’égard de la France, les bâtiments officiels ont été illuminés en bleu, blanc et rouge. La Marseillaise, chant naguère décrit comme guerrier et nationaliste, n’a jamais été aussi souvent entamée, avec autant de ferveur. Même la devise de Paris, Fluctuat nec mergitur, pas franchement utilisée au quotidien voire carrément oubliée, est revenue comme un leitmotiv.

En parallèle, toujours, ce besoin de se rassembler, de se retrouver dans les mêmes symboles, de se reconnaitre dans les mêmes échos. C’est une constante : nous ne nous sentons jamais patriotes ni ne revendiquons notre identité, jusqu’à ce que notre pays soit frappé de plein fouet, ou au contraire connaisse un grand bonheur. Un journaliste expliquait qu’il n’avait pas vu autant de drapeaux depuis la victoire de la France à la Coupe du Monde de football en 1998. 
Je ne reviendrai pas sur ce besoin de se rassembler ou de se recueillir. J'imagine que chacun met un sens différent derrière la Marseillaise ou le drapeau. Pour ma part, ce regain patriote me dépasse complètement, et j’en suis… victime, en quelque sorte : je me suis moi aussi sentie très Française le 13 novembre.

La seconde réaction des Français aux attentats découle de la forme même des attentats : une fusillade dans des quartiers branchés de Paris. Les cibles étaient des jeunes, avec un profil sociologique assez similaire : étudiants ou jeunes actifs, représentants de la jeunesse éduquée, plutôt aisée, qui sortaient un vendredi soir pour bien commencer le week-end. Suite aux attentats, le mot d’ordre sur les réseaux sociaux a été de continuer à sortir, à profiter de Paris, à « occuper » les terrasses. Acte de résistance dérisoire : si les attentats planifiés à la Défense avaient abouti, qui aurait eu l’idée d’intimer à chacun d’aller « occuper le Parvis » en costar et en cravate en signe de résistance ? 

« Sortons, buvons, faisons la fête ».

Sortir, boire, faire la fête. Ce n’est pas résister. Ce n’est pas dresser son majeur bien droit face aux terroristes. Ce n’est pas faire la guerre à ceux qui nous l’ont déclarée.

C’est seulement vivre, en fait. C’est continuer à vivre. Et cela constitue déjà le premier combat de tout un pays, de toute une génération : malgré ce qui s’est passé, malgré ce qui peut se passer, celui de rester debout