Animée de belles
résolutions, j’ai rouvert ce blog au mois d’août, avec un millier d’articles en
tête. J’en ai commencés plusieurs. Puis j’ai procrastiné, et me voilà rattrapée
par l’actualité.
Le 13 novembre dernier, 130 vies ont été
fauchées à Paris, au nom d’un « Dieu trahi », pour citer le Président
François Hollande.
J’ai voulu réagir et avais très envie
de poster un article sur ce blog dans les jours qui ont suivi. Là encore, j’ai
procrastiné.
L’avantage de procrastiner, c’est que
cela permet la prise de recul. Cela permet de relativiser. De se sentir moins
concerné. Peut-être même de penser qu’on aurait pu dramatiser, céder au
pathétique, réagir à chaud.
Quinze jours après ce drame, je
trouverais indécent d’écrire sur un autre sujet que celui-ci. Néanmoins, je
crains plusieurs écueils : d’abord, celui de n’avoir pas assez pris de
recul. Plus encore, je ne veux pas m’arroger le chagrin des autres. Enfin, je
ne m’estime pas en mesure de produire la moindre analyse sociologique ou politique
des évènements. Pourtant, en toute humilité, mais au moins autant spectatrice qu’actrice
de ma génération, j’ai envie de témoigner.
Il y a le deuil personnel, que
traversent les proches des victimes. C’est de ce deuil là que je refuse de m’emparer.
Il y a également le deuil social, national, occidental, générationnel. Il s’est traduit de deux façons.
La première est plutôt étonnante. Les emblèmes
nationaux ont été remis au goût du jour. Alors que quiconque aurait exhibé un
drapeau tricolore il y a quelques mois encore aurait facilement été taxé de
nationaliste, des milliers de drapeaux ont fleuri aux fenêtres, les photos de
profil Facebook se sont uniformisées avec un filtre tricolore, et partout dans
le monde, témoignage émouvant d’empathie à l’égard de la France, les bâtiments
officiels ont été illuminés en bleu, blanc et rouge. La Marseillaise, chant naguère décrit comme guerrier et nationaliste,
n’a jamais été aussi souvent entamée, avec autant de ferveur. Même la devise de
Paris, Fluctuat nec mergitur, pas
franchement utilisée au quotidien voire carrément oubliée, est revenue comme un
leitmotiv.
En parallèle, toujours, ce besoin de se
rassembler, de se retrouver dans les mêmes symboles, de se reconnaitre dans
les mêmes échos. C’est une constante : nous ne nous sentons jamais patriotes
ni ne revendiquons notre identité, jusqu’à ce que notre
pays soit frappé de plein fouet, ou au contraire connaisse un grand bonheur. Un
journaliste expliquait qu’il n’avait pas vu autant de drapeaux depuis la
victoire de la France à la Coupe du Monde de football en 1998.
Je ne reviendrai pas sur ce besoin de
se rassembler ou de se recueillir. J'imagine que chacun met un sens différent derrière la Marseillaise ou le drapeau. Pour ma part, ce regain patriote me dépasse
complètement, et j’en suis… victime, en quelque sorte : je me suis moi aussi sentie très Française le 13 novembre.
La seconde réaction des Français aux
attentats découle de la forme même des attentats : une fusillade dans des
quartiers branchés de Paris. Les cibles étaient des jeunes, avec un profil
sociologique assez similaire : étudiants ou jeunes actifs, représentants
de la jeunesse éduquée, plutôt aisée, qui sortaient un vendredi soir pour bien
commencer le week-end. Suite aux attentats, le mot d’ordre sur les réseaux
sociaux a été de continuer à sortir, à profiter de Paris, à
« occuper » les terrasses. Acte de résistance dérisoire : si les
attentats planifiés à la Défense avaient abouti, qui aurait eu l’idée d’intimer
à chacun d’aller « occuper le Parvis » en costar et en cravate en
signe de résistance ?
« Sortons, buvons, faisons la
fête ».
Sortir, boire, faire la fête. Ce n’est
pas résister. Ce n’est pas dresser son majeur bien droit face aux terroristes.
Ce n’est pas faire la guerre à ceux qui nous l’ont déclarée.
C’est seulement vivre, en fait. C’est
continuer à vivre. Et cela constitue déjà le premier combat de tout un
pays, de toute une génération : malgré ce qui s’est passé, malgré ce qui peut
se passer, celui de rester debout.