Ce matin, mon Basque n’était pas là.
Rien n’explique son absence ; il
est là tous les matins. Soit à la Gare de Lyon, en haut des marches de la ligne
14, juste avant celles qui descendent au RER A ; ou alors à la Défense,
sortie F-Calder Miro, en haut des escalators, avant le passage qui mène aux
bus.
Il s’habille en blanc
et rouge. Pantalon blanc, chemise blanche, gilet rouge, veste blanche, foulard
rouge, béret blanc. Il joue de l’accordéon. Il n’en fallait pas plus pour qu’il
devienne "mon Basque".
Je n’ai jamais mis la
moindre pièce dans son gobelet. Et pourtant, il fait intégralement partie de mon
ballet journalier. Ou plutôt, il est le témoin quotidien des milliers de ballets
dansés par des milliers de silhouettes qui se hâtent dans les courants d’air
des gares et des stations de métro, ces milliers d’êtres humains pressés qui semblent ne pas le
remarquer et pour qui il joue pourtant de l’accordéon avec constance et
fidélité.
Chaque Parisien a son
ballet matinal. Un ballet réalisé cinq fois par semaine à la hâte, ballet réglé
comme du papier à musique, qui consiste à suivre mécaniquement un itinéraire ultra-optimisé
pour raccourcir au maximum le temps de transport.
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Parviendrai-je à monter dans cette rame ou devrai-je attendre la suivante ? Le suspens reste entier. |
J’ai de la chance, je suis en bout de
ligne. C’est essentiel aux heures de pointe, d’être en bout de ligne. Ça signifie
qu’on peut s’asseoir. S’asseoir dans le métro, c’est un peu le Graal pour tout Francilien. C’est vrai que c’est nettement plus agréable que de faire le trajet
debout.
Arrivée en gare de Lyon (« A cette station, descente à gauche »), je me précipite vers les escaliers, car sinon il y a la queue. Il m’arrive de bousculer un touriste à peine sorti d'un TGV en provenance du sud, mais je pousse la politesse jusqu'à prendre toujours le temps de présenter mes excuses. En haut des escaliers, j’ai déjà dégainé ma carte de métro pour passer les portiques du RER A. C’est à ce moment-là que je vois mon Basque ; sinon je sais qu’il sera à la Défense. Sans ralentir pour autant, je le salue parfois d’un vague signe de tête, puis passe les portiques, et me fais directement avaler par les couloirs du RER A, dans lequel je m’engouffre le plus rapidement possible. J’ai parfois une place assise, mais le plus souvent non. Alors, pour tous les gens debout, le ballet de chacun se transforme en une chorégraphie discordante : il faut essayer de se positionner de telle sorte que l’on puisse légitimement prétendre à s’asseoir si jamais une place se libérait à la station suivante, sans pour autant paraître discourtois puisqu’on est entre gens civilisés après tout.
Arrivée en gare de Lyon (« A cette station, descente à gauche »), je me précipite vers les escaliers, car sinon il y a la queue. Il m’arrive de bousculer un touriste à peine sorti d'un TGV en provenance du sud, mais je pousse la politesse jusqu'à prendre toujours le temps de présenter mes excuses. En haut des escaliers, j’ai déjà dégainé ma carte de métro pour passer les portiques du RER A. C’est à ce moment-là que je vois mon Basque ; sinon je sais qu’il sera à la Défense. Sans ralentir pour autant, je le salue parfois d’un vague signe de tête, puis passe les portiques, et me fais directement avaler par les couloirs du RER A, dans lequel je m’engouffre le plus rapidement possible. J’ai parfois une place assise, mais le plus souvent non. Alors, pour tous les gens debout, le ballet de chacun se transforme en une chorégraphie discordante : il faut essayer de se positionner de telle sorte que l’on puisse légitimement prétendre à s’asseoir si jamais une place se libérait à la station suivante, sans pour autant paraître discourtois puisqu’on est entre gens civilisés après tout.
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"A la Défense, plus de courtoisie qui tienne, les conditions sont trop extrêmes". |
C’est à ce moment-là qu’on redevient
humain, en général. Celui qui m’a écrasé le pied pour foncer sur l’unique siège libre dans le RER puis a fixé méthodiquement son smartphone pendant le reste du trajet pour
ne pas voir la femme enceinte debout à côté, attendra galamment que j’entre dans l’ascenseur
avant de s’y glisser lui-même. Sans doute soulagés d’avoir ce matin encore
survécu à notre ballet, nous jetterons un coup d’œil au miroir de l’ascenseur
et ajusterons discrètement notre écharpe / cravate/ brushing, histoire d’effacer
toute trace du combat sans merci que nous venons de livrer depuis que nous
avons quitté notre domicile. Frais et dispos, nous sommes fin prêts pour saluer nos collègues et deviser entre gens convenables.
Demain, si mon Basque est revenu, je
lui donne une pièce.