mercredi 25 octobre 2017

A Paris, en vélo



[Sur un air bien connu]

Qu’on se le dise, les transports parisiens sont mon traumatisme quotidien. Je ne suis pas en train de dire que les autres usagers remercient la RATP pour ces moments intimes de partage (de microbes et de soupirs excédés) avec leurs concitoyens. Néanmoins, j’ai ce petit orgueil qui me laisse penser que pour moi, c’est pire. Je me suis tellement habituée à détester le métro qu’il est quasiment systématique que je pense « Oh non, je suis dans le métro » quand je suis dans le métro. Niveau état d’esprit positif, on a fait mieux.

Et parce que j’adore râler (toujours cet état d’esprit positif, amen.), j’avais préféré vous conter mon ballet quotidien dans les transports en commun plutôt que de chanter les louanges d’un vrai plaisir parisien : le Vélib’.


Pour éviter tout procès d’intention, je précise que je n’ai pas d’actions à JC.Decaux. Aussi, je peux le dire en toute objectivité : plus agréable que le métro, plus rapide que la marche, plus agile que la voiture et mieux qu’un zem togolais car il n’est pas nécessaire de négocier le prix avant ni de refuser une demande en mariage après, le Vélib', c’est bien ! 

Ainsi, tandis que je perds des heures à consulter les applis sur mon smartphone pour optimiser autant que possible mon trajet en métro, je ne me pose pas trop de questions quand il s’agit de recourir au vélo en libre service. Après m’être assurée que les critères de base sont remplis (la météo le permet -« c’est pas vraiment une pluie qui mouille »-, je connais plus ou moins le trajet -« au pire j’ai le GPS »-, la distance est raisonnable -« dans tous les cas c’est plus rapide que le métro »-, et j’ai la possibilité de déposer l’engin à une borne -« de toute façon, y’en a de partout »), j’enfourche mon vélo et… et je fonce, pardi !

Et là, c’est la liberté. Déterminée à passer la quatrième vitesse sur cette grosse dame qui n’en compte que trois, je chevauche ma monture du XXIème siècle avec la fierté de qui vient d’enlever ses roulettes. 

Pédaler dans Paris, c’est posséder la ville. En premier lieu, privilège rare, on n’est pas joignable : pour qui a son téléphone greffé au bout du poignet (allez, au hasard, moi), je me sens libre de ne pas le regarder plus de trois minutes d’affilée quand je pédale. Bien au-delà, on apprivoise cette ville qui sait être si hostile. On s’approprie les distances, on découvre les monuments au détour d’un virage, on remonte les files de voitures avec une nonchalance toute feinte, et on s’offre des points de vue magnifiques… 

Bon, un minimum d’honnêteté me pousse à admettre qu’il arrive que la réalité soit un brin moins idyllique. D’abord, il faut avoir un petit côté suicidaire : non mais franchement, le type qui a dessiné le plan de circulation de la place de la Bastille, c’est un cascadeur contrarié qui s’est vengé ?! De même, s’engager dans une rue pavée, c’est d’emblée revendiquer une forme de militantisme en faveur de l’excision, avec des rebondis plus ou moins irréguliers sur des pavés plutôt moins que plus réguliers. Et d’une manière générale, il convient d’aimer les sensations fortes, car les routes parisiennes sont couvertes de cicatrices, et les amortisseurs des Vélib sont… eh, on n’est pas en train de parler VTT, là ! Maintenant que j’y pense, il faut aussi slalomer entre les scooters, contourner les camions de livraison en double file, s’impatienter derrière les camions-poubelles qui prennent toute la largeur de la chaussée, être indifférent aux taxis-râleurs (pardon pour le pléonasme), se faire asperger par les karchers des agents de voiries, respirer les pots d’échappement puisque les pistes cyclables sont également les voies de bus, sourire aux piétons qui trouvent que les « vélos roulent comme des fous » et obtempérer aux policiers qui enjoignent d’ôter ses écouteurs. Bref, ici comme ailleurs, il faut vivre en communauté. 



 

Et voilà le naturel qui revient en vélo [huhu…] !! J’avais promis une ode à la petite reine et nous voici bien avancés avec un inventaire à la Prévert de tous ses inconvénients ! Pourtant, je vous l’assure, je kiffe TOUJOURS mes déplacements en vélo. Grâce notamment à un respect très relatif du code de la route puisque j’ai décidé une bonne fois pour toutes que feux tricolores, stops, céder le passage et priorités à droite étaient tous des « céder le passage », j’ai optimisé mon expérience vélo. Et je peux donc affirmer que le Vélib’ est une vraie source de satisfaction qu’offre Paris.
Par tous les temps, à toutes les heures du jour ou de la nuit, en pleine possession de ses capacités ou un peu guilleret, pédaler offre ce sentiment inimitable que Paris nous appartient. En trois coups de pédale, on passe d’un décor à l’autre, d’une ambiance à l’autre, des grands boulevards bruyants aux rues apaisées, des places noires de monde aux quartiers résidentiels. Tous les sens sont aux aguets. En un trajet, on sent mille odeurs : celle des pots d’échappement, bien sûr, mais aussi celle du pain qui cuit dans la boulangerie, les encens que les petites épiceries allument pour attirer la clientèle, celle du Subway (artificielle, soit dit en passant) pour donner l’eau à la bouche ou celle moins ragoutante de la boucherie hallal du coin. On voit mille lumières, de celle du jour qui change au fils des heures, qui parfois se réfléchit sur les façades dans un festival de dorés, à celles des néons cheap des boutiques de rue. On entend mille bruits aussi, ceux que la ville nous renvoie dans une cacophonie insupportable quand on marche, et qui nous atteignent à peine quand on pédale. Tout ce que la ville a d’inamical est gommé pour ne plus qu’offrir ce sentiment de liberté.

Après tout, quitte à avoir la tête dans le guidon dans une vie parisienne à 100 à l’heure, autant l’avoir dans le guidon d’un Vélib’ ! Car on ne le dira jamais assez, vélo-boulot-dodo, c’est tout de même plus classe que métro-boulot-dodo !

Caro




[Edit : j’ai commencé cet article il y a longtemps, et j’ai eu l’occasion hier de faire un trajet en scooter dans Paris. Verdict : en fait, le vélo, c’est naze… Oh ! Tiens, voilà le naturel qui revient à moto !]

vendredi 7 juillet 2017

De la gestion du CC dans un bac à requins

Article bien peu à propos en cette soirée estivale où un benchmark des meilleurs spots de pique-nique parisiens serait davantage de circonstance, il s’agit aujourd’hui de travail. Car quelques soient les températures extérieures -qui ces derniers temps flirtent avec mon référentiel togolais-, il faut bien jouer son ballet quotidien dans les transports en commun, se faire avaler par la Tour tous les matins, jusqu'à ce qu'elle nous recrache dix heures plus tard, le cerveau ramolli et les yeux douloureux, mais même pas en sueur grâce à la magie de l'air inconditionnellement surconditionné.

Bref, je viens parler boulot, emploi, labeur, gagne-pain, taf. Travail, quoi.
Comme le sujet est vaste (sic), l'analyse sera restreinte à un domaine bien particulier et tout-à-fait stratégique : la gestion du cc.

Le cc, quésaco ? Qui tu mets en copie de tes emails, pardi (et l’ordre dans lesquels tu les mets, soyons précis !). A savoir ceux qui ne sont pas destinataires –les « pour action »-, mais qui doivent avoir connaissance de l’échange –les « pour info ».

Et comme le sujet reste vaste, j'ajouterai un critère géographique : le bac à requins. Allez, au hasard, ma boîte. Cet aquarium gigantesque qu'est la Tour, rempli de squales aux dents aiguisées, bien décidés à être le dernier s’il ne devait en rester qu’un.

Dans ma vie d'avant, quand je me faisais exploiter dans le monde merveilleux des ONG, que les KPI de mon programme (key performance indicators, m'sieurs-dames, les critères d'évaluation d'un projet) relevaient du nombre de ménages impactés plutôt que du nombre de MUSD de profit ; avant, donc, j'envoyais un email à la personne à qui je souhaitais l'adresser. J'avais vaguement conscience qu'informer untel que j'écrivais ceci à tel autre pouvait s'avérer un peu délicat. Mais globalement, pour transmettre ou demander une information à x, j'écrivais à x. Et si x ne me répondait pas, j'écrivais a x pour lui demander s'il avait reçu mon mail (traduction : réponds STP). Et s'il ne me répondait toujours pas, j'écrivais à y que j'avais contacté x, mais que sans nouvelles à ce jour, je me permettais de me tourner vers lui. Bref, j'étais assez pragmatique.

Désormais, ma vie a changé.

D'abord, les emails one-to-one sont rares, en dehors de ceux adressés à son supérieur hiérarchique immédiat. Les relations bilatérales, y’a pas qu’en amour ou pendant la guerre froide que c'est compliqué. L'email peut être transféré, suivre sa vie d'email et s'émanciper totalement de son rédacteur, et tout cela finit parfois très mal. Donc on évite le bilatéral, il faut un témoin des échanges.

Par conséquent, la grande majorité des emails contient des cc. La plupart du temps, au moins son n+1.

Mais là encore, il n’y a rien d’évident. Il arrive d’être sollicité par d’autres sur des ‘petites tâches de 5 minutes’ qui mobilisent finalement deux heures. Au moment de l’envoi, la tentation est grande de mettre son n+1 en cc, pour info, avec le message subliminal suivant : « Je n’ai pas enfilé des perles tout l’après-midi mais j’ai planché sur ça, sur ordre d’untel ». Or, voilà un écueil dans lequel on tombe facilement dans la gestion du cc : l’email qui signifie « Regarde, je bosse ! », ce qui est un brin immature et remplit inutilement la boite de réception de son supérieur hiérarchique.

Plus grave encore que le spammage intempestif –déjà ô combien problématique-, il est une règle suprême à laquelle il ne faut déroger sous aucun prétexte : on ne bypasse pas. Bypasser, anglicisme de bypass, traduction : contourner. Bypasser quelqu'un, c'est s'adresser à quelqu'un de plus haut dans la hiérarchie que lui alors qu’il est directement concerné. Le bypassage peut être motivé par différentes raisons : se faire bien voir par quelqu'un de haut placé, gagner du temps en s'épargnant d'écrire à quelqu'un dont on sait qu'il ne répondra pas, éviter quelqu’un dont on sait qu’il s’appropriera notre travail, etc... Cela peut donc avoir un certain nombre d'avantages, pour autant la pratique est absolument proscrite.

Il faut lui préférer la pratique dite du "rebondi". Cas concret : en ce moment, j'essaie d'obtenir un fichier de mes interlocuteurs en Afrique et Asie. Nous avions anticipé un manque de réactivité et ma hiérarchie avait écrit à la leur, avec moi en cc, pour les informer que son équipe allait les leur. J'ai rebondi sur le mail de ma hiérarchie pour demander le fichier une première fois, avec ma hiérarchie en copie (« Regarde, je bosse ! »), mais pas la leur. Avec un coquet score de 2,5% de réponse, j'ai rebondi sur mon email et fait une première relance sans personne en cc. Puis ai rebondi sur mon rebondi avec le n+1 de mon interlocuteur en cc, en remettant ma hiérarchie dans la boucle comme je commençais à m'adresser à des gens plus haut placés que moi. Puis une relance avec les mêmes. Puis un nouveau rebondi avec les n+2, etc. etc. J'ai littéralement un tableau de suivi Excel dans lequel je note les dates de relances et les personnes en cc.

Dans tous les cas, j'ai assimilé le fait que j’évite de relancer mes interlocuteurs en m’adressant à des personnes plus hautes que moi. Je destine systématiquement mes emails à mes interlocuteurs, et après une ou deux relances, je mets la hiérarchie en cc « pour info ». Libre à elle de réagir ou non pour activer ses équipes.

Tout ça a l’air très codifié, et pourtant, la gestion du cc n’est pas une science exacte, loin s'en faut. Chacun a son interprétation des règles et sa propre gestion du cc. Après 2,5 ans de pratique, je me pose encore très souvent la question de qui je devrais mettre en cc ou pas de mes emails. La gestion du cc est un vrai reflet de la personnalité : de celui qui « met la terre entière en copie » à celui qui casse les boucles mails en répondant en one-to-one, en passant par celui qui ordonne les personnes en cc du moins important au plus important (oui, ça existe), la pratique est loin d’être universelle. Car entendons-nous bien, la gestion du cc, c’est un exercice délicat de contorsionniste schizophrène : il s’agit d’éviter tout drame diplomatique sans pour autant renoncer à un minimum d’efficacité, il faut mettre en avant son travail sans donner l’impression de se mettre en avant soi-même, et surtout, surtout, il convient de respecter la sacro-sainte hiérarchie même quand on n’en a qu’une envie relative.

Peut-être que si on communiquait par blog interposé cela simplifierait la vie de tout le monde. Tout le monde en est le destinataire, libre à chacun de lire. Au moins, si on m’accusait d’avoir « mis la terre entière en copie », ce serait justifié.

Bonne canicule à nous,

Caro