dimanche 26 mars 2017

Nous sommes tous des égocrates


Les gens adorent parler politique. Qui n’a pas assisté à un repas de famille au cours duquel, malgré les recommandations de la grand-mère de ne pas parler politique pour préserver la paix des ménages, un cousin ne peut s’empêcher de faire une remarque sur les fonctionnaires, laquelle suffit à réveiller l’âme d’une tante ex-communiste qui a abandonné sa carte au parti car elle croyait en Mitterrand (et qui s’en mord encore les doigts) ? Quelle soirée étudiante ne nous a-t-elle vus monter dans les tours quand il s’agissait de commenter l’actualité politique ?
Aux élections présidentielles qui, de par la constitution et la culture monarchique françaises, sont celles qui déchainent le plus les passions, ce sont près de trois citoyens sur quatre qui se déplacent (environ 20% d’abstention parmi les 93% de Français inscrits sur les listes, 6 ou 7% du corps électoral potentiel étant non ou mal inscrits). Je n’ai pas trouvé de statistiques telles que « X% des Français disent avoir parlé de la politique au cours des 48h dernières heures », mais je suis convaincue que le chiffre est important.

Alors évidemment, nous sommes en période électorale, l’actualité toute fraiche est particulièrement riche avec les frasques des uns et les (non-)programmes des autres, et il est impossible de passer au travers du sujet dans les médias, mais je continue de croire que les Français ne se désintéressent pas du sujet. J’ajoute que j’ai commencé à écrire cet article en janvier, alors que la campagne électorale démarrait à peine.
Suis-je en train de prendre mon cas pour une généralité ? Sans doute est-ce exacerbé dans le microcosme dans lequel je vis, mais il me semble que cet intérêt pour la chose publique est partagé par une bonne franche de la population.

Malgré cet intérêt apparent, rares sont les personnes, je crois, qui ont foi en l’action politique.

J’écarte de l’analyse celles qui s’engagent en politique. Je pense ici davantage à la grande majorité qui a des idées politiques, qui aime débattre, qui s’amuse à confronter ses convictions à celles d’autres, mais qui au final, « n’y croit pas ».
Pour cette majorité-là, l’exercice de la démocratie n’a lieu que lors des élections. Ce n’est pas en débattant qu’on agit en tant que citoyen : au mieux, cela nous permet d’affiner nos idées en les opposant à des opinions contraires, mais les discussions, aussi enflammées soient-elles, n’ont pas d’impact direct sur le collectif. Le seul moyen que nous avons alors est de glisser un bulletin dans une urne.

Et mon avis, c’est que peu d’entre nous mesurons la portée de notre geste. Nous votons parce que c’est le mieux que nous puissions faire, mais sans conviction quant à l’impact de notre bulletin de vote.

Je vois deux niveaux d’explication.

D’abord, nous manquons de confiance envers le pouvoir politique. J’ignore si ce manque de confiance concerne nos représentants politiques aujourd’hui (une fois le constat dressé que les ‘medias nous manipulent’, que ‘Bruxelles nous gouverne’ et que de toute façon, ils sont ‘tous pourris’, difficile de croire qu’un bout de papier dans une urne changera la donne) ou s’il réside dans l’action politique en général, dans le sens de la volonté de changer les choses par l’action publique. Toujours est-il que je pense que seule une minorité attend de l’Etat qu’il change la face du monde, ou du pays plutôt, et considère que le destin d’une nation est déterminé par des décisions publiques.

Le deuxième niveau d’explication va plus loin me semble-t-il. Il est inhérent au fait que la communauté, c’est avant tout une somme d’individus. Le constat que je dresse, en généralisant peut-être un peu, est le suivant : au quotidien, nos décisions sont foncièrement individualistes. Il est très rare, je crois, de prendre une décision qui va à l’encontre de notre intérêt individuel, mais de la prendre quand même car elle va dans le sens de celui collectif. Un exemple évident est celui du logement : même avec les meilleures intentions du monde en termes de mixité sociale, on préfère vivre dans un quartier agréable avec nos semblables que dans une cité glauque à la périphérie d’une ville. Idem avec le travail : tout le monde s’accorde à dire que le piston, c’est moche ; pour autant, il est naturel, je crois, d’avoir envie de rendre service ou donner sa chance à quelqu’un en qui nous croyons (enfants d’amis, neveux…), et, si la possibilité nous est donnée, alors la tentation est grande de faire du favoritisme. Dans ce contexte où les décisions individuelles prennent le pas sur le collectif, les individus attendent davantage de leur entourage ou d’eux-mêmes que de l’État pour subvenir à leurs besoins, ce qui entraine automatiquement une défiance envers le politique.

Dans un monde où il est admis que la démocratie -(étymologiquement, le gouvernement (kratos) par le peuple (dêmos)-  est la forme la moins pire de gouvernement et que l’élection de représentants reste l’outil le plus fidèle à sa mise en œuvre (on pourrait débattre sur le bien-fondé du tirage au sort, mais alors je suis repartie pour des heures), quelle est la solution pour que les membres d’une communauté aient confiance dans le collectif ? Quel pouvoir donner aux individus pour leur permettre d’influer sur le destin commun ? Comment donner envie de s’engager, et les moyens de s’engager à ceux qui en ont envie, sans se heurter au « plafond de verre » de la politique, aux « arcanes du pouvoir » et autres « entre-soi clos » -formules éculées, mais qui reflètent une réalité ?

Je n’ai évidemment pas la réponse, mais je pense à deux outils : la démocratie locale et l’engagement associatif. Mais cet article est déjà bien long, alors je garde mon laïus sur l’univers des assos pour une autre fois.

Bon dimanche !

Caro