Les gens adorent parler politique. Qui
n’a pas assisté à un repas de famille au cours duquel, malgré les
recommandations de la grand-mère de ne pas parler politique pour préserver la
paix des ménages, un cousin ne peut s’empêcher de faire une remarque sur les fonctionnaires,
laquelle suffit à réveiller l’âme d’une tante ex-communiste qui a abandonné sa
carte au parti car elle croyait en Mitterrand (et qui s’en mord encore les
doigts) ? Quelle soirée étudiante ne nous a-t-elle vus monter dans les
tours quand il s’agissait de commenter l’actualité politique ?
Aux élections présidentielles qui, de
par la constitution et la culture monarchique françaises, sont celles qui
déchainent le plus les passions, ce sont près de trois citoyens sur quatre qui se
déplacent (environ 20% d’abstention parmi les 93% de Français inscrits sur les
listes, 6 ou 7% du corps électoral potentiel étant non ou mal inscrits). Je
n’ai pas trouvé de statistiques telles que « X% des Français disent avoir
parlé de la politique au cours des 48h dernières heures », mais je suis
convaincue que le chiffre est important.
Alors évidemment, nous sommes en
période électorale, l’actualité toute fraiche est particulièrement riche avec
les frasques des uns et les (non-)programmes des autres, et il est impossible de
passer au travers du sujet dans les médias, mais je continue de croire que les
Français ne se désintéressent pas du sujet. J’ajoute que j’ai commencé à écrire
cet article en janvier, alors que la campagne électorale démarrait à peine.
Suis-je en train de prendre mon cas
pour une généralité ? Sans doute est-ce exacerbé dans le microcosme dans
lequel je vis, mais il me semble que cet intérêt pour la chose publique est partagé
par une bonne franche de la population.
Malgré cet intérêt apparent, rares sont
les personnes, je crois, qui ont foi en l’action politique.
J’écarte de l’analyse celles qui
s’engagent en politique. Je pense ici davantage à la grande majorité qui a des
idées politiques, qui aime débattre, qui s’amuse à confronter ses convictions à
celles d’autres, mais qui au final, « n’y croit pas ».
Pour cette majorité-là, l’exercice de
la démocratie n’a lieu que lors des élections. Ce n’est pas en débattant qu’on
agit en tant que citoyen : au mieux, cela nous permet d’affiner nos idées
en les opposant à des opinions contraires, mais les discussions, aussi
enflammées soient-elles, n’ont pas d’impact direct sur le collectif. Le seul
moyen que nous avons alors est de glisser un bulletin dans une urne.
Et mon avis, c’est que peu d’entre nous
mesurons la portée de notre geste. Nous votons parce que c’est le mieux que
nous puissions faire, mais sans conviction quant à l’impact de notre bulletin
de vote.
Je vois deux niveaux d’explication.
D’abord, nous manquons de confiance
envers le pouvoir politique. J’ignore si ce manque de confiance concerne nos
représentants politiques aujourd’hui (une fois le constat dressé que les ‘medias nous
manipulent’, que ‘Bruxelles nous gouverne’ et que de toute façon, ils sont ‘tous
pourris’, difficile de croire qu’un bout de papier dans une urne changera la
donne) ou s’il réside dans l’action politique en général, dans le sens de la
volonté de changer les choses par l’action publique. Toujours est-il que je
pense que seule une minorité attend de l’Etat qu’il change la face du monde, ou
du pays plutôt, et considère que le destin d’une nation est déterminé par des
décisions publiques.
Le deuxième niveau d’explication va
plus loin me semble-t-il. Il est inhérent au fait que la communauté, c’est
avant tout une somme d’individus. Le constat que je dresse, en généralisant
peut-être un peu, est le suivant : au quotidien, nos décisions sont foncièrement
individualistes. Il est très rare, je crois, de prendre une décision qui va à
l’encontre de notre intérêt individuel, mais de la prendre quand même car elle
va dans le sens de celui collectif. Un exemple évident est celui du logement :
même avec les meilleures intentions du monde en termes de mixité sociale, on
préfère vivre dans un quartier agréable avec nos semblables que dans une cité glauque
à la périphérie d’une ville. Idem
avec le travail : tout le monde s’accorde à dire que le piston, c’est
moche ; pour autant, il est naturel, je crois, d’avoir envie de rendre
service ou donner sa chance à quelqu’un en qui nous croyons (enfants d’amis, neveux…),
et, si la possibilité nous est donnée, alors la tentation est grande de faire
du favoritisme. Dans ce contexte où les décisions individuelles prennent le pas
sur le collectif, les individus attendent davantage de leur entourage ou d’eux-mêmes
que de l’État pour subvenir à leurs besoins, ce qui entraine automatiquement une
défiance envers le politique.
Dans un monde où il est admis que la
démocratie -(étymologiquement, le gouvernement (kratos) par le peuple (dêmos)- est la forme la moins pire de gouvernement et
que l’élection de représentants reste l’outil le plus fidèle à sa mise en œuvre
(on pourrait débattre sur le bien-fondé du tirage au sort, mais alors je suis
repartie pour des heures), quelle est la solution pour que les membres d’une
communauté aient confiance dans le collectif ? Quel pouvoir donner aux
individus pour leur permettre d’influer sur le destin commun ? Comment
donner envie de s’engager, et les moyens de s’engager à ceux qui en ont envie,
sans se heurter au « plafond de verre » de la politique, aux « arcanes
du pouvoir » et autres « entre-soi clos » -formules éculées, mais qui
reflètent une réalité ?
Je n’ai évidemment pas la réponse, mais
je pense à deux outils : la démocratie locale et l’engagement associatif.
Mais cet article est déjà bien long, alors je garde mon laïus sur l’univers
des assos pour une autre fois.
Bon dimanche !
Caro