[Sur un air
bien connu]
Qu’on se le
dise, les transports parisiens sont mon traumatisme quotidien. Je ne suis pas
en train de dire que les autres usagers remercient la RATP pour ces moments intimes
de partage (de microbes et de soupirs excédés) avec leurs concitoyens.
Néanmoins, j’ai ce petit orgueil qui me laisse penser que pour moi, c’est pire.
Je me suis tellement habituée à détester le métro qu’il est quasiment
systématique que je pense « Oh non, je suis dans le métro » quand je
suis dans le métro. Niveau état d’esprit positif, on a fait mieux.
Et parce que
j’adore râler (toujours cet état d’esprit positif, amen.), j’avais préféré vous
conter mon ballet quotidien dans les transports en commun plutôt que de chanter
les louanges d’un vrai plaisir parisien : le Vélib’.

Pour éviter
tout procès d’intention, je précise que je n’ai pas d’actions à
JC.Decaux. Aussi, je peux le dire en toute objectivité : plus agréable que
le métro, plus rapide que la marche, plus agile que la voiture et mieux qu’un
zem togolais car il n’est pas nécessaire de négocier le prix avant ni de
refuser une demande en mariage après, le Vélib', c’est bien !
Ainsi, tandis
que je perds des heures à consulter les applis sur mon smartphone pour
optimiser autant que possible mon trajet en métro, je ne me pose pas trop de
questions quand il s’agit de recourir au vélo en libre service. Après m’être
assurée que les critères de base sont remplis (la météo le permet -« c’est
pas vraiment une pluie qui mouille »-, je connais plus ou moins le trajet
-« au pire j’ai le GPS »-, la distance est raisonnable -« dans
tous les cas c’est plus rapide que le métro »-, et j’ai la possibilité de
déposer l’engin à une borne -« de toute façon, y’en a de partout »),
j’enfourche mon vélo et… et je fonce, pardi !

Pédaler dans
Paris, c’est posséder la ville. En premier lieu, privilège rare, on n’est pas
joignable : pour qui a son téléphone greffé au bout du poignet (allez, au
hasard, moi), je me sens libre de ne pas le regarder plus de trois minutes
d’affilée quand je pédale. Bien au-delà, on apprivoise cette ville qui sait
être si hostile. On s’approprie les distances, on découvre les monuments au
détour d’un virage, on remonte les files de voitures avec une nonchalance toute
feinte, et on s’offre des points de vue magnifiques…
Bon, un minimum
d’honnêteté me pousse à admettre qu’il arrive que la réalité soit un brin moins
idyllique. D’abord, il faut avoir un petit côté suicidaire : non mais
franchement, le type qui a dessiné le plan de circulation de la place de la
Bastille, c’est un cascadeur contrarié qui s’est vengé ?! De même, s’engager
dans une rue pavée, c’est d’emblée revendiquer une forme de militantisme en
faveur de l’excision, avec des rebondis plus ou moins irréguliers sur des pavés
plutôt moins que plus réguliers. Et d’une manière générale, il convient d’aimer
les sensations fortes, car les routes parisiennes sont couvertes de cicatrices,
et les amortisseurs des Vélib sont… eh, on n’est pas en train de parler VTT,
là ! Maintenant que j’y pense, il faut aussi slalomer entre les scooters,
contourner les camions de livraison en double file, s’impatienter derrière les
camions-poubelles qui prennent toute la largeur de la chaussée, être
indifférent aux taxis-râleurs (pardon pour le pléonasme), se faire asperger par
les karchers des agents de voiries, respirer les pots d’échappement puisque
les pistes cyclables sont également les voies de bus, sourire aux piétons qui
trouvent que les « vélos roulent comme des fous » et obtempérer aux
policiers qui enjoignent d’ôter ses écouteurs. Bref, ici comme ailleurs, il
faut vivre en communauté.
Et voilà le
naturel qui revient en vélo [huhu…] !! J’avais promis une ode à la petite
reine et nous voici bien avancés avec un inventaire à la Prévert de tous ses
inconvénients ! Pourtant, je vous l’assure, je kiffe TOUJOURS mes
déplacements en vélo. Grâce notamment à un respect très relatif du code de la route puisque
j’ai décidé une bonne fois pour toutes que feux tricolores, stops, céder le
passage et priorités à droite étaient tous des « céder le passage »,
j’ai optimisé mon expérience vélo. Et je peux donc affirmer que le Vélib’ est
une vraie source de satisfaction qu’offre Paris.
Par tous les
temps, à toutes les heures du jour ou de la nuit, en pleine possession de ses
capacités ou un peu guilleret, pédaler offre ce sentiment inimitable que Paris
nous appartient. En trois coups de pédale, on passe d’un décor à l’autre, d’une
ambiance à l’autre, des grands boulevards bruyants aux rues apaisées, des
places noires de monde aux quartiers résidentiels. Tous les sens sont aux
aguets. En un trajet, on sent mille odeurs : celle des pots d’échappement,
bien sûr, mais aussi celle du pain qui cuit dans la boulangerie, les encens que
les petites épiceries allument pour attirer la clientèle, celle du Subway
(artificielle, soit dit en passant) pour donner l’eau à la bouche ou celle
moins ragoutante de la boucherie hallal du coin. On voit mille lumières, de
celle du jour qui change au fils des heures, qui parfois se réfléchit sur les
façades dans un festival de dorés, à celles des néons cheap des boutiques de rue. On entend mille bruits aussi, ceux que
la ville nous renvoie dans une cacophonie insupportable quand on marche, et qui
nous atteignent à peine quand on pédale. Tout ce que la ville a d’inamical est
gommé pour ne plus qu’offrir ce sentiment de liberté.
Après tout, quitte à avoir la tête dans le guidon dans une vie
parisienne à 100 à l’heure, autant l’avoir dans le guidon d’un Vélib’ ! Car on
ne le dira jamais assez, vélo-boulot-dodo, c’est tout de même plus classe
que métro-boulot-dodo !
Caro
[Edit : j’ai
commencé cet article il y a longtemps, et j’ai eu l’occasion hier de faire un
trajet en scooter dans Paris. Verdict : en fait, le vélo, c’est naze… Oh ! Tiens, voilà le
naturel qui revient à moto !]