mardi 8 décembre 2009

De la liberté d'expression au Royaume-Uni

Rassurez-vous, je ne me prends pas encore pour Tocqueville, ce billet n'a donc pas pour objet de faire écho à De la démocratie en Amérique – livre que je n'ai d'ailleurs pas lu. Mais c'est le premier titre qui me soit venu à l'esprit pour l'article qui suit, et il reflète exactement ce que j'ai ressenti samedi.

Voilà trois semaines que je n'avais pas quitté Stoke, et je perdais le rythme de la visite d'une ville hebdomadaire. Samedi, donc, c'est parti pour Nottingham. Nottingham, connue pour Robin des Bois. Et oui, l'ennemi juré du héros est le Shérif de Nottingham, lequel vient de Nottingham. Le monde est bien fait, vous en conviendrez. Donc l'attraction de la ville, pour ne pas THE attraction, c'est la statue de Robin Hood (et retenez bien, car cela aura son importance par la suite).

La journée commence… dans le train. Logique. Non, je vous rassure, je ne vais pas faire de cet article un racontetavie.com ; je m'arrête sur le trajet pour une raison précise. La voici : on était à côté d'un groupe de skinheads, qui commençaient la journée à la bière et au whisky. Arf, je n'aime pas généraliser, mais genre stéréotype du hooligan tu fais pas mieux.


Et hop !, une petite photo volée du crâne rasé et des bouteilles vides dans le train.
Intriguée, je demande à l'un d'eux quel match ils vont voir. Il ne m'était même pas venu à l'esprit qu'ils puissent s'enivrer à 10h du mat' pour une autre raison que celle d'aller foutre le boxon sur un terrain de foot. Naïve ! Le bonhomme, dont l'alcoolémie devait déjà faire pâlir d'envie un moscovite privé de Vodka pendant 10 minutes, me répond qu'il est en partance de Nottingham (ha bon, toi aussi ?!), pour une manif. Quel genre de manif ? "Against the Muslims!". Ainsi, l'EDL, l'English Defence League, groupuscule d'extrême droite, organise une manif contre les Muslims. La traduction littérale de Muslims est Musulmans ; mais le terme "Musulmans" n'a en Français aucune connotation raciste, or il peut en avoir une en Anglais. La traduction aurait donc plutôt été en Français les "Arabes", à ceci prêt que les premiers visés sont ici les Pakis. J'ai fait remarquer à mon alcoolo que "this is very sad" ("c'est très triste"), mais il n'était alors plus en état de me répondre quoique ce soit d'autre que "fais attention, ça va être violent aujourd'hui, take care girl, be careful" ou son leitmotiv du jour, à savoir "we want our country back !" ("rendez-nous notre pays").

Ce genre de manif serait interdit en France. Je ne vais pas vous ressortir le cours de droit admi (après tout vous ne m'avez rien fait), mais le maire aurait le droit de l'interdire pour menace à l'ordre public (le premier IEPien qui pense à OP a gagné !). Ici, la conception de la liberté d'expression est différente, et semble-t-il sans limite. Je ne vais pas me risquer à la politique de comptoir, mais le simple fait d'imaginer une manif contre une religion, contre les étrangers, donne à réfléchir.

Mais je n'avais pas fini de m'étonner. Les méthodes des forces de l'ordre m'ont scotchée. Arrivées à la gare, on a la surprise d'être filmé par les flics, afin qu'ils aient une trace des personnes étant entrées dans Nottingham le samedi 5 décembre. Même si l'EDL est en tout point méprisable, je doute de l'efficacité d'une telle pratique : certes, les skins étaient clairement là pour se battre, néanmoins l'accueil hostile qui leur a été réservé n'incitait pas à la non-violence.
Comité d'accueil à la gare


Après un quart d'heure perdu à essayer de sortir de la gare (cordons de flics oblige : sortie à l'arrière de la gare, redescendez sur le quai, non remontez, bon on vous escorte), nous voilà enfin dehors, en partance pour le château de Nottingham.

Et là, sensation bizarre. Personne dans la rue. Genre Montluçon après 17h un lundi, sauf qu'on était midi un samedi à Nottingham. Non pas man's land, mais plutôt flicland. Partout, partout, des policiers, à cheval, en camions, à patte, avec les chiens, etc. Qu'à cela ne tienne, le château nous attend, et la statue de Robin aussi.

Je vous laisse admirer la statue. Perso, j'en suis encore sans voix :



Explication fournie par un policier : barricadée pour ne pas être réduite en morceaux pendant les affrontements. Tant pis, on ne verra pas Robin Hood. Consolons-nous en nous disant qu'il est plus beau en imagination - Le Petit Prince, ma Bible. On part donc en direction du château, juste derrière. Fermé. Le musée ? Fermé. Rectification : même Montluçon est plus animé. On a demandé à un flic combien de temps durerait cette petite comédie. Réponse : "aussi longtemps qu'ils voudront se battre". Ca, c'est fait.

On se dirige alors vers le centre-ville, c'est-à-dire la place principale, devant le magnifique hôtel de ville. Retour à la civilisation : aux flics s'ajoutent désormais les contre-manifestants, qui réclament l'interdiction de l'EDL et du BNP (British National Party, parti d'extrême-droite, qui a réalisé une avancée inquiétante aux Européennes de juin dernier). La manif de l'EDL a lieu au même moment de l'autre côté de la ville, près du château et de la statue : le rôle des flics est de faire en sorte que les deux manifs ne se rencontrent pas. Sans vouloir donner dans le lyrique avec des analogies et autres métaphores pourries, traverser cette place reflétait les deux visages de l'Angleterre : d'abord, la manif, la violence contenue, les forces de l'ordre outrageusement présentes ; ensuite, la magie de Noël, le marché, la patinoire, les illuminations, les chants. Tout, le meilleur comme le pire, est plus excessif qu'en France.

Bref, instant philosophique terminé, on continue l'avancement de la journée ! Ayant compris qu'on serait de toute manière privées de culturacion, les lieux touristiques étant fermés, on part faire les magasins. C'est beau la résignation. Et quand je dis faire les magasins, y'a vraiment de quoi faire. La preuve en images !


Quand je vous disais que tout était plus excessif qu'en France...

Vers 15 heures, demi-tour sur la place principale, pour aller déjeuner dans un pub. Le repas est ponctué de nombreux allers et venues de gars bourrés, et au final, plein de skinheads (encore une fois, cela me désole d'ainsi généraliser, mais je vous promets qu'on les reconnaissait) qui partent par la sortie de secours. On ne comprenait rien, mais en sortant du resto, tout est devenu clair (sauf le jour : il fait nuit à 16h). Nos militants de l'EDL étaient venus faire la tournée des bars après leur manif, et se sont faits piégés par les contre-manifestants, qui les attendaient à la sortie du pub, rejoints par la communauté pakistanaise. Dans un élan de courage admirable, les membres de la EDL se sont enfuis par derrière (d'où, les allers et venues vers la porte de secours), sauf quelques-uns un peu plus imbibés qui sortent du pub pour réclamer leur "country back" en agitant leur drapeau (pas l'Union Jack britannique, mais la St Georges' cross anglaise, l'EDL méprisant également Ecossais et Gallois).

On s'est ainsi retrouvées au milieu des Pakis, encerclées par les flics, et Marion s'est improvisée reporter le temps d'une soirée (la plupart des photos sont d'elle, merci !). Petite précision. J'ai relaté cette journée de façon très manichéenne, les gentils d'un côté et les méchants de l'autre. Evidemment, l'EDL est détestable, horrible, et tout et tout. Mais les personnes avec qui on s'est retrouvées ne sont pas des victimes. Rien à voir avec les contre-manifestants chevelus, stone, peace and love, et militant au socialist party (équivalent du parti communiste français) croisés le matin. Eux n'avaient rien de peaceful.

A la sortie du bar, les militants anti-EDL attendent les manifestants.
Au second plan, la patinoire, le marché de Noël et la Council house.

Là, on a rejoint les contre-manifestants : on est face au pub où on a mangé, d'où on vient de sortir.
Devant le pub, les membres de l'EDL, "protégés" des contre-manifestants par les flics.





On est touriste ou on ne l'est pas ! Cette photo, prise par Marion à mon insu, m'a beaucoup amusée : je suis bien en train d'admirer les décos de Noël, entre, à ma gauche, des camions de flics et, à ma droite, un cordon de flics qui empêche des Pakistanais de taper sur des néonazis. Normal.


On a continué notre ballade, et on est parties. Dans le train, on a encore eu le droit aux panneaux "No Sharia, this is England". J'ai depuis consulté la presse anglaise. Comme il fallait s'y attendre, des affrontements entre la police et les manifestants ont eu lieu dans la soirée. Pour ceux que cela intéresse, voilà quelques articles :

Comme je l'ai déjà souligné, une journée qui donne à réfléchir. Je ne suis pas persuadée d'avoir réussi à exprimer tout ce que je voulais, notamment l'ambiance qu'il régnait. Mais on en reparlera de vive voix, je suis de retour dans quinze jours (ou comment finir sur une note positive !).

Caro
PS: cet article est grââââcement dédicacé à ma prof de Refugees and Immigrants, qui, non satisfaite de me reprocher la construction de Sangate, a expliqué environ 17 fois que Le Pen est arrivé au second tour de la présidentielle en France en 2002. C'est comment qu'on dit, déjà ? "Balayer devant sa porte", c'est ça ?

5 commentaires:

  1. Ooouuh, la journée s'est révélée instructive à ce que je vois, mais pas comme il était prévu...
    Je te reconnais sans peine dans ce choc épidermique à la vue des policiers (somme toute fort normal étant donné la situation ! I'm really shocked !) et attends avec impatience de lire tes impressions sur les forces de l'ordre burundaises...
    A bientôt au téléphone, moi ça y est, je suis en France !

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  2. Hellooo, merci pour ce récit épique... So agitated british country...
    Que de belles rangées de chaussures, héhé tu peux t'en acheter pour tous les jours de la semaine ! bisous, passe un joyeux Noel

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  3. Hello my dear! Merci pour tes articles où ton sens de l'observation fait si bien mouche, j'ai lu avec grand plaisir tes aventures british,j'ai hâte de te revoir Carolinette, cuidate en Burundi. De mon côté, je continue ma découverte de la culture mexicaine...plein de récits en perspective (quand, me diras-tu, et bien à court terme un mail collectif et j'envisage de reprendre l'élaboration d'un blog vu qu'il me reste pas mal de temps à passer au pays des cactus: fin janvier je m'envole pour Cancún). Besitos (PS: honte à moi: ordre public a réveillé en premier le souvenir de Gepetto et de sa moustache soo british!)

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  4. Je laisse (enfin) un nouveau com.
    Rahlala, décidément caro, tu me fais la journée avec ton blog !!! Il est hilarant en tout point. J'ai vraiment l'impression de t'entendre en te lisant. Chukrann gezilann
    désolé de ne pas pouvoir apporté some contact en France, car je n'y serrais pas ces vacances.
    yallah by ! continue !

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  5. Eh oui, Eva, ce flegme britannique dont tu m'avais tant parlé a révélé ses limites. Promis, Sarah, tu auras des commentaires croustillants du so-called flegme burundais. Quant à toi Clara, on attend ton mail collectif, et on ne peut que t'encourager à faire un blog, au moins pour les Cactus (propagande toujours, que voulez-vous). Et, bon, on accepte Gepetto pour OP, m'enfin, j'en referrerai à Myrina qui décidera de ta punicion !
    Enfin, Yves, merci, ton commentaire m'a fait vraiment plaisir. J'attends des nouvelles de ta chère Beyrouth, à travers tes mails lyriques pour lesquels je ne peux que dire "Chukrann" moi aussi.
    Bises à tous, bonnes fêtes.

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