lundi 10 mai 2021

Qu'aurons-nous fait de nos vingt ans ?


Plus de dix ans (bientôt douze, en fait) que ce blog me suit. Avec une régularité toujours aussi relative –« Une fois par an, c’est régulier », dixit mon ancien chef à propos de son footing annuel-, mais plus de dix ans que j’ai en permanence, enfoui dans un coin de ma tête, au mieux un brouillon en cours, ou, plus souvent, l’idée de commencer un brouillon. Que ce soit pour les grandes étapes de ces douze dernières années ou les petites anecdotes quotidiennes, très souvent, j’ai pensé : « Tiens, il faut que je rédige sur ça ». Par manque de temps, paresse intellectuelle, ou mauvaise gestion des priorités, la majorité de ces billets est restée au stade d’idée. Quelques-uns ont été amorcés, et parmi eux, une poignée de rescapés a finalement été publiée. 

Je m’étais promis d’écrire cet article pour les vrais dix ans du blog. Il aura fallu la crise du coronavirus, trois confinements puis un couvre-feu pour qu’il voie finalement le jour. Car celui-là je ne voulais pas le laisser filer. Sans vraiment savoir quelle tournure il prendrait, je voulais depuis longtemps écrire sur la décennie écoulée : cette décennie qui marque donc les dix ans de cette interface et surtout, ma vingtaine. Déjà quand je vivais à Paris, j’y pensais régulièrement. Et notamment à un moment précis : dans l’immense hall d’accueil de la Tour, un cadran numérologique affichait en rouge la date et l’heure, sablier imperturbable et intransigeant des temps modernes. Tous les matins, je voyais un jour de plus me rapprochant de la trentaine, et je me disais « Qu’ai-je donc fait de mes vingt ans ? ». J’y pensais encore quand je suis arrivée en Ardèche en 2018. C’est de là que l’article aurait dû être rédigé, à l’été 2019.  Mais une fois n’est pas coutume, j’avais trouvé refuge dans mon royaume isérois pendant le premier confinement et c’est donc de ma chambre d’enfant que j’avais commencé à rédiger ces mots. De l’eau, beaucoup même, a encore coulé depuis mais ce billet étant consacré à ma vingtaine, faisons comme si nous étions encore en plein été 2019, et que je m’apprêtais à fêter mes trente ans. 

Mon penchant pour la chronologie ne me quittant décidément pas, je me dois de résumer ces dix ans en lieux et dates. 

J’ai soufflé ma vingtième bougie quasiment en direct sur ce blog, le 23 août 2009, puis me suis envolée pour la fameuse année de mobilité, pour laquelle il avait vu le jour : un semestre Erasmus dans la charmante bourgade de Stoke-on-Trent, suivi par un séjour au Burundi déterminant pour la suite. 

Nous voilà à l’été 2010. J’enchaine sur trois semestres de master à Toulouse (entrecoupés par un stage à Paris et un voyage en Tanzanie pendant l’été 2011) qui nous amènent donc en janvier 2012. Master conclu par un stage de fin d’études réalisé à Berlin début 2012. 

Septembre 2012 : premier poste, basé à Poitiers, où je resterai un an, avant que l’ONG qui m’employait ne m’envoie au Togo, en septembre 2013 donc. 

Changement de décor un an et demi plus tard, où je débarque à la Défense le 29 décembre 2014, avec un manteau acheté l’avant-veille et la trace de bronzage du maillot de bain encore bien visible. S’ensuivent trois ans et demi à Paris. A Paris où, en schématisant à peine, je me suis amusée la première année, ennuyée la seconde et ai envoyé des CV la troisième.

Retour à la case Rhône-Alpes en mai 2018, presqu’onze après l’avoir quittée, dans un coin de paradis au milieu des vignes. Et nous voilà un soir d’été ardéchois, forcément caniculaire, à compter les jours me rapprochant de ma trentaine.  


Persistance de la mémoire - Dali

Ma passion des repères spatio-temporels est satisfaite. Ai-je pour autant répondu à cette question qui m’a hantée sur la fin de cette décennie : « Qu’ai-je donc fait de mes vingt ans ? ». 

En quelque sorte, oui, j’y ai répondu.

J’ai multiplié les expériences. Accumulé les aventures. Répété les découvertes.

Comme si à vingt ans, la vie m’avait dit : « Tu as dix ans devant pour toi pour décider ce que tu veux faire pour le reste de ta vie ». Vingt ans... Plus vraiment l’âge des premières fois, mais plutôt celui de tous les possibles. « Fonce, explore, fais demi-tour, repars, tombe du cheval, remonte sur le cheval. Puis décide : renonce, choisis. »  (Je n’entrerai pas dans un débat sur le déterminisme social déjà abordé ici et qui continue de me fasciner. Je parle des privilégiés dont je suis, qui ont effectivement les moyens de se construire un destin).

J’ai appliqué à la lettre « Il faut bien que jeunesse se passe » avec parfois, souvent même, un sentiment de fuite en avant. En regrettant parfois au début d’une nouvelle adresse, rarement pendant, jamais après. 

Si j’en ai eu parfois assez de déménager à intervalles réguliers, c’est car je ne suis pas arrivée à m’habituer aux adieux. Jamais car je n’avais plus soif de découvrir de nouveaux endroits. Au contraire, j’avais tellement de chemins possibles que j’hésitais seulement sur celui à emprunter en premier, en gardant en tête que tel autre devait être pas mal non plus, pour « plus tard ». Avec cette délicieuse inconscience du temps qui passe.

A quel âge ai-je commencé à ressentir cette perception du temps, puis à la discerner avec de plus en plus d’acuité ? La courbe de vie, l’horloge biologique, le grand sablier, appelez ça comme vous voulez : il s’agit de ce sentiment diffus et désagréable que le temps, que mon temps est compté

Que la décennie de tous les possibles touchait à sa fin et qu’il était temps que je choisisse ma voie, selon l’expression consacrée. 

La réponse, heureusement, est moins triste que ne le sous-entend la question. J’avais certes la pression de me choisir un destin -et de m’y tenir, si possible. Mais j’en avais surtout l’envie. Le goût de l’aventure m’avait quittée, en quelque sorte. Les rencontres ont fait le reste. 

Entendons-nous bien, si vous me proposez quinze jours au bout du monde pour mes prochaines vacances, j’ai des étoiles dans les yeux. Mais me dire que je passerai, sinon toute ma vie, au moins les prochaines années au même endroit, ne me fait plus peur, et au contraire, m’enthousiasme beaucoup. Quand on sait que ce « même endroit » en question est la vallée de mon enfance, il y a de quoi sourire. Un cas d’école pour les psys ! 

C’est drôle… ce blog était à l’origine un blog de voyage, et ç’en fut un thème récurrent bien au-delà de ce que j’imaginais initialement. Et je suis en train de le clore -il est possible que cet article soit le dernier, un article tous les trois ans n’est décidément pas un rythme soutenable ! - par un retour à la case départ. Enfin, seulement d’un point de vue géographique. Je sors de ma vingtaine enrichie des expériences de la décennie passée, et d’un peu de sérénité

Attention, pas de méprise : loin de moi l’idée de revendiquer une quelconque sagesse ! Si la vingtaine m’aura enseigné une chose, c’est bien, je crois, que les certitudes sont souvent éphémères. C’est bien intentionnellement que le titre de l’article est conjugué au futur antérieur. Je pourrai vraiment faire le bilan de mes vingt ans quand je serai morte ! En attendant, je sais juste que j’ai fait des choix au crépuscule de ma vingtaine, et d’autres plus déterminants encore depuis deux ans, qui m’ont mise sur la voie quant à ce que je vais faire de ma trentaine !

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