Deux articles en deux jours… A ce rythme, je vais vous lasser ! Après je me calme, promis, mais j'ai tant à vous raconter, la vie ici est incroyable –et géniale ! Bref, venons-en à l'objet !
Souvenons-nous de ce 28 septembre 2009, où, fraichement débarquée à Stoke, je vous expliquais le pouvoir performatif de la dénomination, dans un billet intitulé "Freshers now we are !". Nouveau décor, nouvelle appellation. Je ne vais pas vous faire un dessin, un daltonien pourrait lui-même observer ma Muzūnguïtude, ou -en un Français un peu plus correct mais pas encore complètement- ma Blanchitude.
En d'autres termes, je me sens un peu pâlotte quand je me balade dans la rue. Rectification : suite à une session-bronzage ce week-end, je suis désormais rougeotte, mais là n'est pas la question. Le Burundais se fiche de la couleur du Blanc, le Blanc est un Muzūngu. Point.
Le statut des Bazūngu (au pluriel) dépend de l'endroit où se déroule notre histoire. Le Muzūngu est tantôt une créature étrange, tantôt un porte-monnaie sur pattes, tantôt un trophée (du genre "j'ai touché un Muzūngu !").
A Buja (oui, permettez que j'me la rac' en appelant la capitale par son p'tit nom), les autochtones sont habitués à croiser des Bazūngu. Selon l'heure, le quartier, et le personnage à qui on a affaire, le Burundais ignore, mendie, vole ou flatte le Muzūngu. Le marché central, par exemple, est une place typique où le Muzūngu est bousculé. Non pas de manière agressive, non, mais juste ce qu'il faut pour le distraire et lui vider les poches. Dans l'élite, le Muzūngu est traité avec des pincettes. Les enfants de Buja sont ceux dont il faut le plus se méfier, car avec leur gueule angélique et leur ventre vide, ils sont maitres dans l'art du vol, de portable surtout.
Entrée d'un village, sur la route de Muramvya. La photo est très mauvaise car prise discrétos de la plage arrière de la voiture.
A l'intérieur du pays, c'est autre chose. Sans doute est-il trop tôt pour généraliser comme je m'apprête à le faire, mais mes trois déplacements au centre du pays (à Bubanza, à Kabezi et à Muramvya) m'ont donné l'impression que le Muzūngu est en quelque sorte un "passeport". L'ONG qui présente une Muzūngu (allez, au hasard, IBJ) a tout de suite plus de crédit. Quand on demande à l'administrateur de Kabezi d'organiser une campagne de sensibilisation dans son village, on montre la Muzūngu. Par contre, quand il s'agit de négocier la location d'un chauffeur pour une journée, on la cache, car elle fait grimper les prix.
Plus significatif encore, lors de ma visite à Bubanza, dont je vous parlerai probablement dans un prochain article, j'ai voulu prendre les photos d'un procès. Je me suis fait rappeler à l'ordre par un policier, qui m'a demandé l'autorisation du Président du Tribunal. Après quelques négociations avec ce dernier, il accepte (comme s'il avait eu l'intention à un moment donné de refuser), mais à condition que je visite entièrement le Palais de Justice, que je photographie chaque salle pour pouvoir témoigner des mauvaises conditions dans lesquelles les magistrats travaillent. Comme si je pouvais y faire quelque chose. J'imagine qu'il n'aurait pas demandé à un Burundais d'exiger la construction d'une seconde salle d'audience "Si rwégawde, là, il y a la placé dé constwuiwre un nouwhô bourwo pouw les magistrwats". Genre, j'y peux quelque chose si les juges s'entassent à 6 dans 15m², et si les archives présentent une ressemblance saisissante avec Bagdad après un attentat suicide. Il m'a aussi demandé le réaménagement du parking, et de nouvelles machines à écrire. J'ai pris note et promis de faire mon possible. Dans un souci de respect de ma promesse, je publie les photos, je confirme les conditions de travail désastreuses, et comme je sais que mon blog est consulté quotidiennement par des millions de lecteurs, j'espère de toutes mes forces que ce témoignage portera ces fruits et que le palais de Justice de Bubanza aura bientôt de palais de Justice autre chose que le nom…
Le Palais de Justice de Bubanza
Auprès des populations enfin, être Muzūngu est très bizarre. Les gamins sont adorables, mais je me sens un peu bête curieuse. Exemple vécu. Y'en a un qui m'aperçoit dans la voiture, il crie "Muzūungu !", et y'en a vingt qui rappliquent, qui se postent autour de la voiture. Ils ne sont jamais hostiles, essaient même de parler Français (l'autre jour, j'en ai rencontré un qui ne savait dire que "Demain". Alors il me regardait et répétait "Demain demain demain demain demain". Heu… Intéressant.), mais ce n'est pas franchement agréable d'être l'objet de curiosité du moment. Je deviens maitre en l'art du Salut à la Miss France… Mais mes déplacements ont toujours été courts, de quelques heures maximum. Demain, je pars pour deux jours, et j'espère qu'une fois que les gamins du village auront repéré qu'il y a une Muzūngu dans le coin, ils passeront à autre chose.
Traversée d'un village sur la route de Bubanza. Ce village se trouve au beau milieu de la plaine de Limbo (cf. billet précédent)
Cela dit, ces considérations sont bien dérisoires vis-à-vis de la pauvreté ici. Si j'ai parfois l'impression que le passage d'un Muzūngu est un évènement (heu… ça va, les ch'villes, là ?), c'est sans doute car je ne suis pas habituée. Chaque petite animation qui agrémente le quotidien de la population doit probablement faire l'objet de la même agitation, et c'est sans doute mon comportement qui est le plus inhabituel –heu… inhabituel pour eux, entendons-nous bien ; moi, je me trouve normale, merci ! Bref, trêve de considérations, l'habitude viendra. La Muzūngu que je suis, ou plutôt que j'apprends à être, vous salue bien bas.
Caro
Etonnant : je crois que j'aurais pu écrire cet article du Togo. Je ne pensais pas qu'il y avait les même similitudes, en tout cas pas à ce point (les enfants qui te regardent comme une bête curieuse, le "blanc = passeport" etc.)
RépondreSupprimerEn revanche, le paysage me fait rêver ! Y'aura moyen que tu te balades dans les collines, ou c'est trop dangereux ? Est-ce que tu vois beaucoup de militaires ?
En attendant la suite de tes aventures... ;)
Bises !
Héhé on comparera nos expériences.
RépondreSupprimerQuand au paysage, il est incroyable. J'étais hier et aujourd'hui au Sud, c'est encore mieux que le Nord. Nouveau billet sous peu !
Et bonne question : je meurs d'envie d'aller faire une rando, mais on m'a déconseillé quand même. Mais il parait qu'il y a un club d'expats de randonneurs, mon proprio m'a dit qu'il me les présenterai. Le risque est que je vous harcèle d'articles =).
Quand aux militaires, oui. De partout. Sur la route de Muramvya (à l'Est) et celle de Kabezi (au Sud), surtout. Beaucoup moins sur celle du Nord. Mais celle du Nord rejoint le Congo, qui n'a pas connu les conflits ethniques Hutu/Tutzi, tandis que celle de Muramvya rejoint la Tanzanie et le Rwanda, et a été le théâtre de nombreux massacres.
Allez, bisous, miss !
Bonjour, je suis un jeune burundais et je viens d'arriver en France, et tes réactions me font un peu marrer. C'est vrai que le muzungu, tout comme le noir ici ne passe pas inaperçu, pas pour les mêmes ni les mêmes réactions d'ailleurs lol!!
RépondreSupprimerJ'espère que tu passeras un super séjour au Burundi et que ce voyage t'apprendra plein de choses sur cet 'autre monde', car j'ai eu l'impression de changer de monde en arrivant ici.
Ndayishimiye.
Es-tu William, qui a laissé un commentaire sur l'autre message ?
RépondreSupprimerSi c'est le cas, ce commentaire me rassure. Toi qui es en France est en mesure de mesurer l'écart entre nos deux pays, et tu sais ce que c'est qu'être différent dans un pays où la culture est différente, où les gens sont différents, ou tout est différent.
Je ne sais pas quelle impression donne mes articles, mais je t'assure que j'apprécie beaucoup ton pays. Je vais évidemment passer un super séjour ici.
Qu'il en soit de même pour toi en France.
Ouah, continues tes mails Caro !
RépondreSupprimerIl permet de relativiser pas mal son expérience, mes bande de racistes libanais trop politisés sont intéressants, mais toi à coté, c'est beaucoup plus que cela.
Parenthèse : Nbayishimiye ou William, pour un black, il y a pire que le racisme en France : Le Liban.
je m'auto-retire le surnom de Candide, mes camps palestiniens surarmées n'atteignent pas ton niveau de découverte ...
A très bientôt Caro, et profites bien !!
Yvou
Bonjour à Caro, oui je suis William qui qui a fait l'autre commentaire, et c'est pas vraiment une leçon de morale que je voulais te faire. J'ai juste envie de te dire de continuer à poster des articles, et de décrire le Burundi comme tu le vois, et comme tu le trouves, en te souhaitant tjrs un bon séjour là-bas,
RépondreSupprimer@Yves, je sais bien que pour un noir y'a pire que le racisme en France, j'ai vécu pas mal de temps au maghreb je sais de quoi je parle, un big up à tous, surtout à Caro, hope que t'arrives à supporter le soleil de Buj...Ciao!!